Catégories
arguments pourris Arnaques, charlatanisme et bullshit complot

Complotisme et justes causes : quels liens ?

Est-ce que certaines formes de MILITANTISME favorisent l’adhésion au DISCOURS COMPLOTISTE ?
Je dirais que oui.
À moins que ce ne soit l’inverse.
Ou peut-être que ça va dans les 2 sens…

Ce genre de questions me tourne dans la tête depuis que je m’intéresse au complotisme et à la désinformation.

Je précise juste que quand je parle de complotisme ici, je ne me limite pas aux gros clichés du complotisme, aux théories les plus déjantées, à base de reptiliens et de terre plate. Je parle ici du recours plus ou moins systématique aux complots en guise d’explications. Dans cette logique, il y a une inversion de la charge de la preuve : les gens qui brandissent ces complots pour expliquer tout ce qu’ils ont besoin d’expliquer n’apportent pas de preuves de l’existence des complots en question.

Je vous propose quelques éléments. Et si vous me suivez depuis un moment, vous allez voir que je vais me répéter. Ou plutôt que je vais vous renvoyer vers des choses que j’avais déjà écrites ici.

1. Les désinformateurs qui diffusent des discours complotistes ont tous de belles causes à invoquer protéger les enfants, rétablir les libertés, etc

2. La rhétorique complotiste est un joker argumentaire. Avec des discours complotistes vous pouvez soutenir à peu près n’importe quelle thèse, même la plus farfelue (« Ils ont caché les preuves », etc.). Et si vous défendez une cause juste, très juste, tellement juste qu’elle ne saurait être remise en cause, ce genre de joker argumentaires, c’est précieux.

3. Plus vous utilisez la rhétorique complotiste, plus vous allez dresser le portrait de méchants, très méchants. Ils tirent les ficelles, manipulent, trichent, sont disposés à tout… Des méchants tellement méchants que vous vous sentez autorisés, voire contraints, à tout faire pour les combattre.

Joker éthique.

Vos ennemis sont maléfiques à un point que vos actions seront forcément justifiées (vous pourrez notamment aisément vous permettre de prendre quelques libertés avec la réalité factuelle : face à de tels méchants, vous n’allez quand-même pas vous embarrasser avec ces histoires de véracité…)

4. Si vous militez pour une cause juste, très juste, est-ce que vous pouvez remettre en question le discours que vous tenez au nom de cette cause ? Si ce n’est pas le cas, toute démarche de vérification des faits est potentiellement suspecte. En effet, vérifier, c’est prendre le risque d’amener des faits qui contredisent le discours.

5. Si vous avez pris l’habitude de recourir à une rhétorique complotiste pour tout expliquer et tout justifier, avec des histoires de grands méchants très méchants qui mènent des plans machiavéliques… …Est-ce que vous pouvez changer vos habitudes ? Et est-ce que vous aller laisser tomber une recette qui marche ? Et est-ce que votre public (électeurs, lecteurs, patients, disciples, fans, followers, etc.) accepterait de votre part des discours nuancés, étayés, où tout ne s’expliquerait pas à coups de complots maléfiques ?

6. On a beaucoup parlé de Donald Trump et de la post-vérité. On a ricané parfois de cette histoire de « alternative facts ». Mais raconter du bullshit à un public qui de toutes manières n’en pas plus rien à ficher de la notion de vérité et de mensonge, ça ne concerne pas que Donald Trump.

Soyez attentifs et voyez comme, en invoquant de grandes et belles causes, certaines personnes développent tout un discours par lequel elles s’autorisent à s’affranchir des faits.

On ne dit pas ouvertement qu’on est prêt à raconter n’importe quoi du moment que ça arrange, non.

Mais on fabrique une sorte de fausse opposition, de faux dilemme, comme si la vérité et la recherche des faits était un obstacle à la grande et belle cause que l’on prétend servir et que, à un moment donné, il faut choisir entre l’un ou l’autre.

7. Je m’étais beaucoup intéressé au complotisme sur les sujets de santé, notamment le Covid. Et une chose m’avait frappé, une forme de logique circulaire que j’appellerai le « ça marche ». On brandit un remède miracle, on proclame que « ça marche ». Et puisque ça marche, et que l’affaire est grave, aucune objection ne peut être tolérée : « ça marche », donc il faut y aller, sans se poser de questions. Le simple fait de questionner, de relever des incohérences ou des faussetés, constitue dès lors un obstacle à la guérison des patients.

Le sujet est tellement grave que l’affirmation se suffirait à elle-même. Et contredire cette affirmation serait ainsi un comportement quasi criminel. Face à ceux qui osent contredire, il conviendra dès lors de se demander à qui profite le crime. À Big Pharma ? Au gouvernement ?…

Si l’on parle de santé, vous pouvez appliquer la logique inverse aux vaccins. On proclame que les vaccins provoquent l’autisme. Si vous faites remarquer que cette affirmation est basée sur une étude frauduleuse, vous passerez pour celui qui veut inoculer un produit toxique à des touts petits, qui se moque des familles d’enfants autistes. On pourra raisonnablement se demander si vous n’êtes pas financé par quelqu’un pour vous comporter de manière aussi malfaisante.

Il y a des raisonnements de ce type dans certains discours militants. La cause est tellement grande, que contredire le discours que certains brandissent au nom de cette cause reviendrait à attaquer la cause elle-même. Si une personne prétend lutter contre un mal en racontant n’importe quoi, ceux qui relèveront ce n’importe quoi seront vus comme des complices du mal en question.

Donc, oui. Pour moi, il y un lien entre les discours complotistes et certaines conceptions du militantisme.

Il y a une sorte de constat empirique que je fais depuis que je suis sur les réseaux sociaux en lisant ou écoutant certains discours militants (et j’écris bien « certains », pas « les ») . Des récits où l’action maléfique et insidieuse d’un groupe puissant et organisé sert d’explication plus ou moins universelle, récits qui reviennent, s’adaptent, se transforment au grès des circonstances et des besoins.

Un lien de causalité qui va dans les deux sens, je pense. Et ça a à voir avec le rejet de la remise en question, avec le relativisme par rapport à la vérité et avec une forme d’adhésion inconditionnelle au groupe (et au discours qui rassemble ce groupe).

Share This