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Complotisme, marketing et sincérité

Est-ce qu’on a déjà abordé le complotisme en faisant un parallèle avec les questions de MARKETING ? Regarder les discours conspis comme on regarderait le fonctionnement d’une boîte qui a des produits à vendre, ça se fait ?

Je réfléchissais à des tas de débats et de questions sur le complotisme. Prenons 3 de ces questions qui reviennent souvent :

  1. Est-ce que les sympathisants de certaines idées politiques sont plus enclins à verser dans les théories du complot ?
  2. Pourquoi est-ce que les gens qui diffusent une théorie du complot sur un sujet donné tendent à diffuser d’autres théories du complot sur d’autres sujets ?
  3. Est-ce que les personnalités en vue qui diffusent des théories du complot croient sincèrement en leurs récits ?

Et je me suis imaginé qu’on regarde toutes ces questions en pensant en termes de marketing.

Et qu’on cherche des réponses.

Voire qu’on se demande si les questions ont vraiment un sens.

(Certains vont peut-être se dire que je n’ai aucune compétence dans le domaine et que c’est donc bien prétentieux de ma part de vous parler de tout ça ici. Et ils auront raison. Mais bon, moi je vois des gens qui se proclament experts dans tel ou tel domaine et qui sont ensuite présentés comme tels dans certains grands médias. Alors je me dis que je peux bien me faire passer pour expert en ce que je veux sur mon modeste blog, non ?)

En fait il y a un aspect précis qui m’intéresse ici. C’est que le marketing, c’est pas juste réfléchir à comment vendre un produit donné. C’est réfléchir en amont et se demander quel produit produit pourrait être vendu. On n’est pas dans une simple causalité linéaire où l’on aurait créé un produit au départ et qu’on se demanderait ensuite comment le vendre, quel emballage, quelle campagne de pub, tout ça. Non. Lorsqu’on crée un produit, on doit déjà se demander si on va le vendre et comment.

Imaginons : vous êtes une boîte quelconque. Réfléchissez à un produit potentiel que vous pourriez ajouter à votre assortiment. Vous allez vous poser plein de question sur le marché, votre image, votre clientèle habituelle, la clientèle que vous pourriez conquérir, la manière de créer un besoin, etc.

Parce que dans tout ça, le but c’est de VENDRE. Le produit est fait, pensé pour être vendu. On ne peut pas séparer les deux choses, la production et la vente.

C’est quoi votre boîte ? Qu’est-ce qu’elle a comme réputation ? Et vos réseaux de distribution ? Est-ce qu’il y a un public auprès duquel vous êtes particulièrement populaire ? Etc. Et si vous deviez représenter tout ça sous forme de schéma, vous vous retrouveriez à dessiner un truc compliqué, avec plein de flèches dans tous les sens. Et surtout vos flèches elles vont souvent mettre en évidence une causalité circulaire

J’aime bien les raisonnements à base de causalité circulaire.

Vous envisagez de produire un truc. Pour le vendre, vous allez réfléchir à l’image que vous voulez donner de vôtre boîte (ou plutôt de votre marque). Ou peut-être que vous allez raisonner dans l’autre sens : produire un truc qui pourrait bien correspondre à l’image de votre boîte. Ou peut-être même que vous allez produire volontairement un truc qui ne colle pas complètement à l’image de votre boîte, en espérant toucher une nouvelle clientèle. Et si vous cassez cette image vous allez produire d’autres trucs derrière qui vont coller à votre nouvelle image. C’est pas simple.

Bref, l’essentiel c’est que vous puissiez VENDRE. C’est pour ça que votre boîte existe.

(SVP, en lisant tout ça, oubliez donc que je n’y connais rien et que je n’ai aucune compétence pour vous parler de marketing. Et si l’idée vous dérange, comme je l’évoquais plus haut, il n’y a qu’à penser à tous ces pseudo-experts qui défilent sur les plateaux TV et dans la presse écrite en se contentant d’enfoncer des portes ouvertes ou de raconter du bullshit. Dites vous que je ne suis pas pire.)

Et maintenant pensez à toutes ces questions que je mentionnait plus haut sur les théories du complot et les opinions de celles et ceux qui y adhèrent.

Prenons la politique. Est-ce que les gens qui adhèrent à certaines idées politiques sont, plus que d’autres, enclins à verser dans les théories du complot ?

Remarquez que je peux poser la question dans l’autre sens. Est-ce que les gens qui versent dans les théories du complot ont, plus que d’autres tendance, à adhérer à certaines théories politiques précises ?

Je vous l’ai dit plus haut : j’aime les raisonnements à base de causalité circulaire.

Quand je parle de « idées politiques » il faut voir ça au sens très large. Ça ne se limite pas aux élections ou aux partis politiques. Je parle d’avoir telle vision de la société, telle idée de ce que doivent être les rapports entre les gens et les rapports entre les gens et les institutions.

Imaginons. Vous êtes doué pour raconter des histoires à base de grands méchants très fourbes qui font toujours plein de complots horribles. Vous n’avez pas votre pareil pour expliquer la complexité du monde à grand coups d’idées simplistes, en désignant toujours de groupes qui seraient coupables de tous les malheurs et de toutes les catastrophes. Et vous avez un public de fidèles qui adore ça, qui adore particulièrement cette sensation de faire partie des « éveillés », de ne pas être des « moutons ».

Avec ce schéma-là, quelles sont les idées politiques que vous arriverez à vendre au mieux, celles qui collent le mieux à votre style et à votre public ? Votre style va faire qu’il y a des idées que vous pourrez vendre mieux que d’autres.

Et dans l’autre sens, mettons que votre projet politique soit justement de vous en prendre à des groupes de personnes, de désigner des méchants de service avec des grosses explications bien simplistes. Pour vendre ça, quel est le style de discours qui va convenir le mieux ? Il me semble que quelques bonnes grosses louches de complotisme, ça serait parfait, non ?

Alors on va prendre un exemple. Imaginez. Vous êtes un charlatan et vous vendez une super remède anti-cancer bidon. Vous le vendez comment votre remède ? Comment est-ce que vous allez convaincre les patients que vous, vous avez un super remède anti-cancer, remède dont leur toubib ne leur a jamais causé ? Votre charlatanisme vous allez le saupoudrer de théories complotistes. Vous allez raconter que BigPharma et tous les lobbies ont fait pression sur les médecins et les chercheurs, pour cacher les super-remèdes anti-cancer (qui sont naturels, sans effets secondaires notables et pas très chers), parce que BigPharma et tous les lobbies se font du pognon avec ça. Et du coup le toubib, il n’en cause pas à son patient, parce qu’il a peur pour sa carrière, ou qu’il est corrompu. Ben ouais, vous allez vous servir de ce genre de discours pour convaincre des malades du cancer d’acheter votre poudre de perlimpimpin.

Mais à partir de là, si vous êtes doué à ce genre de sale petit jeu et que vous avez un public qui adore ce genre de discours, sur les réseaux sociaux : quelles sont les idées politiques qui colleront bien à votre style de discours et à votre public ? Des histoires avec des grands méchants faciles à désigner, des complots qui expliquent tout, etc, non ?

Et là, j’arrive sur une autre des questions posée au départ : le lien entre différentes théories du complot. Pourquoi est-ce que les gens qui diffusent une théorie du complot sur un sujet donné tendent à diffuser d’autres théories du complot sur d’autres sujets ?

Encore une fois, faites une comparaison avec le business, raisonnez en termes de marketing. Vous avez une « clientèle » (un public, un électorat, des fans…) qui adore ce genre de trucs. Vous avec une savoir faire en la matière : vous êtes doués pour ce genre d’histoires, vous maîtrisez bien toutes les ficelles des théories conspis. Vous n’allez pas un beau jour vous mettre à examiner les faits, à faire des nuances, à vous perdre dans des explications complexes, à vous soucier de véracité : ce serait vous fatiguer inutilement et risquer de froisser votre « clientèle. » Non. Vous allez continuer à faire ce que vous savez faire de mieux et qui plaît à votre « clientèle. » Vous allez peut-être changer de sujet, mais en restant dans le style qu vous maîtrisez et qui vous apporte du succès.

Dès lors pourquoi s’étonner que celui qui autrefois dénonçait la mainmise des Rothschild sur les banques centrales, se soit mis à nier l’existence de la pandémie de Covid et à diffuser des discours antivax, avant de verser dans le climato-négationnisme ?

Mais ce que je vous décrit là semble cynique comme raisonnement. Et ça nous amène à la 3ème de mes questions : la sincérité. Est-ce que les personnalités en vue qui diffusent des théories du complot croient sincèrement en leurs récits ?

Je vous pose une question. Si vous comparez l’évolution des chiffres de vente d’une marque de lessive est-ce que vous allez vous poser la question de la sincérité des dirigeants de la boîte qui vend la poudre en question ?

Je sais, ça a l’air très bête comme question. Mais si on doit juger le travail d’un pro du marketing, est-ce que le critère va être la sincérité ou ça va être les ventes ?

Et puis je ne suis pas sûr que la sincérité soit un concept si facile que ça à saisir. Et il y a sûrement des tas de gens formés en psychologie sociale ou en neuro-psychologie qui pourront causer de tout ça bien mieux que moi. Mais, en résumé, nous avons toutes et tous tendance à croire ce qui nous arrange.

Alors si on questionne la sincérité des discours conspis, on doit peut-être tenir compte que les gens auront tendance à croire « sincèrement » ce qui va dans leur sens, ce qui leur permet de fidéliser une clientèle (ou gagner des voix, ou attirer des adeptes, ou vendre des bouquins ou, tout simplement, récolter des vues et des « like » sur les réseaux sociaux). Et je vous parle des discours conspis, mais ça peut s’étendre à toutes les formes de désinformation et de manipulation.

Et au final je doute que la question de la sincérité apporte grand chose.

Par contre, je me dis que l’avis de professionnels de la vente serait sûrement très utile pour analyser tout ça.

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