Imaginez que je raconte un discours complètement pété, sur le sujet quelconque : santé, histoire, technologie, actu… Un discours qui ne tienne absolument pas la route.
Et imaginez maintenant que vous connaissiez bien le sujet en question et vous arrivez avec de bons arguments, solides, qui démontent mon discours.
Et imaginez moi en train de vous répliquer systématiquement en recourant à des arguments complotistes.
Je n’ai aucune preuve de ce que j’avance ? Mais c’est qu’ILS les ont cachées les preuves !
Vous avez des preuves qui vont à l’encontre de mon discours ? Mais c’est qu’ILS ont fabriqué des fausse preuves !
Et pareil avec les témoins (s’il y a lieu). Si je n’ai pas de témoins, c’est qu’ILS menacent les témoins, ou les corrompent. Et si vous avez des témoins qui contredisent mon récit, c’est qu’ILS ont payé de faux témoins.
Je peux m’amuser un moment avec ça, même si je soutiens un discours complètement pété. Aucun argument ne trouvera grâce à mes yeux.
La rhétorique complotiste fonctionne comme une sorte de joker argumentaire. Ça « marche » partout, tout le temps.
Remarquez ici qu’il n’est pas nécessaire qu’on parle de complot au départ. Je prends un exemple vraiment extrême, la théorie de la Terre plate : au départ personne ne parle de complot. On parle juste de la forme de la Terre.
Et après tout, autrefois, dans l’Antiquité, plein de gens disaient que la Terre était plate sans se faire traiter de complotistes !
Sauf que dire que la Terre est plate au temps de l’Âge de Bronze est une chose…
…Et le dire au XXIe siècle, c’en est une autre !
Raconter aujourd’hui que la Terre est plate, c’est impossible à défendre… Sauf si j’utilise des arguments de type complotiste. « ILS (la NASA, etc) nous cachent les preuves… » « ILS fabriquent de fausses preuves… » Etc.
Joker argumentaire vous dis-je.
Je vois souvent des gens travailler pour essayer d’expliquer l’origine du complotisme, pourquoi est-ce que des gens deviennent complotistes. Moi je me demande plutôt pourquoi est-ce qu’il y a tant de gens qui ne deviennent PAS complotistes.
Franchement un système d’argumentation qui me permet d’avoir toujours le dernier mot, de n’avoir jamais à reconnaître une erreur… Moi je trouve ça très tentant. Pas vous ?
D’autant plus que la rhétorique complotiste, si vous y réfléchissez bien, c’est pas seulement un joker argumentaire.
C’est un aussi un joker éthique.
Ben oui, parce qu’avec une rhétorique complotiste, vous pouvez vous fabriquer des méchants partout, à n’importe quel moment. Et des méchants très méchants. Et plus vous allez en avant, plus vous avez des histoires de complots bien gros, bien ignobles…
En plus vous êtes dans le rôle du super-gentil qui combat des super-méchants…
Le complotisme ça amène à créer complot sur complot. Parce qu’il faut toujours invoquer de nouvelles histoires de complots pour contrer les arguments susceptibles de contrer l’histoire de complot précédente. Et quand on se retrouve avec un grand complot qui inclut les gouvernements, le monde scientifique et les médias d’un peu partout, et bien c’est qu’on est face à une super organisation de super vilains…
…Et là, tous les coups sont permis ! Non ? Enfin ! On ne va pas s’emmerder avec des histoires de code de déontologie et ce genre de conneries quand on combat un truc qui ressemble à des nazis, voire pire !
Ne serais-ce pas là un aspect du complotisme que de se libérer petit à petit des contraintes éthiques, vu qu’on combat des méchants tellement méchants et tellement puissants ?
Je passe beaucoup sur ces histoires de hoax et de théories du complot. Et au début, je me demandais : « Mais ces gens, ils sont conscients qu’ils transmettent une info bidon, qu’ils mentent par omission, qu’ils diffament, qu’ils incitent à la haine et que d’autres gens en souffrent ? »…
Est-ce qu’ils sont conscients ? Peut-être que la question ne se pose même pas.
Peut-être qu’ils s’en foutent.
Mettez-vous dans leur logique. Vous combattez un truc énorme et maléfique. Vous êtes un résistant face au mal absolu… Ça vous fait quoi qu’un casse-couilles vienne vous faire une théorie sur la déontologie ?
Je me suis souvent posé des questions sur l’impact des victimes des théories complotistes, par exemple, les gens qui sont traînés dans la boue, ceux contre qui ont incite à la haine…
Et les gens qui jouent à ça ne se posent peut-être JAMAIS la question de l’impact de leurs actes et leurs propos. Ils sont les résistants face à des super-méchants.
Ils disposent d’un joker qui annule toute question éthique.
