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Leçons à tirer du Covid-19 : « LE PROCESSUS DE LÉGITIMATION DES FAUSSES INFORMATIONS »

Mésinformation et désinformation sur le Covid.
Je tombe sur un rapport (provisoire) du Sénat français.
Et c’est assez intéressant parce que, loin de certains clichés trop souvent ressassés, on relativise le rôle des réseaux sociaux et des « acteurs marginaux » pour pointer du doigt la responsabilité des médias, des scientifiques et des politiques.
Et c’est pas mal.

Voici donc un rapport provisoire du Sénat français sur « les effets indésirables des vaccins et les dernières évolutions des connaissances scientifiques sur la covid-19 ».

J’ai parcouru la quatrième partie du rapport en question, consacrée à la désinformation et à la mésinformation. Et ça mérite d’être lu, je pense.

J’ai particulièrement apprécié le paragraphe intitulé « Le processus de légitimation des fausses informations » (paragraphe E, chapitre III, de la quatrième partie du rapport – page 127).

Je cite :

L’adhésion aux fausses informations est souvent considérée comme résultant de la mobilisation d’acteurs critiques marginaux. Mais l’impact direct de ces acteurs est relativement limité, en raison de leur faible capacité à toucher un public large, et c’est la légitimation des discours critiques par des acteurs bénéficiant d’une plus forte audience qui a un impact important.

Le développement de discours moins radicaux, bénéficiant d’une crédibilité scientifique apparente, d’une certaine plausibilité et du soutien d’acteurs pouvant se prévaloir d’un capital scientifique, leur ont permis d’être portés dans des médias d’information généralistes et de bénéficier, ainsi, d’une large visibilité.

Et le rapport pointe ensuite la responsabilité des médias traditionnels et celle des scientifiques et des professionnels de la santé, invitant ces derniers à, « adopter une parole particulièrement responsable, circonscrite à leur domaine de compétence et en accord avec les données scientifiques. »

Cette partie sur la désinformation et la mésinformation se termine par une liste de recommandations assez intéressante :

  • améliorer la communication scientifique
  • former les scientifiques et les professionnels de la santé à la communication scientifique vers le grand public
  • encourager une communication politique transparente, pédagogique et séparée de la communication scientifique
  • promouvoir la culture scientifique et le sens critique (politiques éducatives)
  • améliorer le traitement médiatique des sujets scientifiques et encourager les réseaux sociaux à limiter la la diffusion de fausses informations
  • encourager la recherche sur la désinformation et la mésinformation

Assez intéressante parce que, et j’insiste, on évite le piège de pointer uniquement du doigt Facebook, TikTok et Twitter et les producteurs de contenus ouvertement conspis, pour rappeler à la responsabilité de chacun, à commencer par les professionnels de la recherche scientifique et de la santé, les grands médias et les politiques.

Et c’est un sujet qui me tient vraiment à cœur. Depuis que je m’intéresse aux histoires de désinformation, complotisme, charlatanisme et autres, j’ai l’impression qu’on s’est beaucoup focalisé sur les sites pourris genre Égalité et Réconciliation, FranceSoir ou Wikistrike et sur les internautes lambda qui gobent du gros n’importe quoi sur les réseaux sociaux et le repartagent autour d’eux. Et on a fermé les yeux sur ce « processus de légitimation des fausses informations ».

Alors si vous me suivez depuis un moment, vous allez dire que je radote, que je me répète. Mais ça fait du bien de lire ça dans un rapport officiel.

Non, la désinformation ce n’est pas juste Madame Michu qui gobe ce qu’elle lit sur Facebook ou le jeune Kevin qui repartage une vidéo pourrie vue sur Tik Tok. C’est aussi des grandes chaînes de TV qui diffusent des documentaires trompeurs d’apparence sérieuse, ou qui tendent le micro à des pseudo-experts. Ou des chercheurs en poste ou des toubibs qui brandissent leurs fonctions et le nom des instituts qui les emploient pour diffuser du gros n’importe quoi.

Pour rappel (et oui, je me répète), je vous redonne 3 exemples qui m’ont marqué, sur cette question de la responsabilité des grands médias, des politiques et des acteurs de la recherche et de la santé.

  1. Le cas du documentaire trompeur « Malaria Business », de la publicité faite à 2 études frauduleuses et de la promotion dont ont bénéficié certaines personnes impliquées dans ces tromperies et ces fraudes. Certaines de ces personnes se sont d’ailleurs ensuite livrées à de la désinformation sur le Covid, avec des conséquences graves. J’étais frappé par la manière dont dont, en France comme en Belgique, les services publics avaient promu ces discours trompeurs sur un sujet de santé aussi grave, la malaria… Pour ensuite, avec le Covid, s’émouvoir de la désinformation ambiante. Alors que cette désinformation sur la malaria a eu un impact direct sur la désinformation sur le Covid.
Un article de blog que j’ai consacré au film « Malaria Business »

2. Un chercheur en sociologie, pouvant se targuer de travailler pour Science Po, l’Université Aix-Marseille et le CNRS, diffuse depuis le début de la pandémie de la grosse désinformation sur le Covid. Désinformation qui s’étend d’ailleurs à d’autres vaccins désormais. Et, officiellement, cela se fait dans le cadre de son travail de chercheur pour ces instituts prestigieux.

« Sociologie : le vaccin contre le papillomavirus réduit drastiquement le risque de cancer du col de l’utérus« 

3. Une série de personnes ont agi à titre individuel, regroupant parfois leurs forces après s’être rencontrées sur les réseaux sociaux, pour mettre en évidence et dénoncer les mensonges et les manipulations provenant d’un institut de recherche français bien connu, l’IHU de Marseille et, celui qui était son patron, Didier Raoult. Des professionnels de la santé, des chercheurs, des vulgarisateurs amateurs, des journalistes. Des gens qui se sont retrouvés bien seuls. Des gens qui ont subi des menaces et des insultes. Qui ont parfois été attaqué en justice pour avoir simplement dit la vérité (attaques financées parfois par l’argent de l’IHU de Marseille). J’ai beaucoup parlé du cas de Guillaume Limousin (« Sonic Urticant »), récemment relaxé suite à la plainte lancée contre lui par Didier Raoult. Mais il y en a d’autres, beaucoup d’autres, que je ne pourrais pas tous citer : Lonni Besançon, Karine Lacombe, Fabrice Franck, Alexander Samuel, Elisabeth Bik, Ari Kouts, etc. Il y a celles et ceux qui ont activement lutté contre la désinformation, en dénonçant des fraudes et des mensonges. Et aussi toutes celles et ceux qui se sont pris des vagues de harcèlement pour avoir simplement publié un article scientifique ou accordé une interview à un média. Le phénomène est connu, a été évoqué maintes fois (comme le cas de ces jeunes chercheurs harcelés après une méta-étude sur l’HCQ ou de ces trois médecins cheffes qui avaient raconté ce qu’elles subissaient pour s’être exprimées sur le Covid). 4 ans que ça dure. Et il y a encore des gens qui doivent dépenser de l’argent pour se défendre face à des poursuites parfois financées par l’IHU de Marseille. L’article pourri (« Gautret et Al ») qui avait contribué à lancer la mode de l’hydroxychloroquine n’a toujours pas été rétracté. Etc. Le système qui a permis tout ça est toujours en place.

Fraude scientifique & désinformation : ceux qui n’ont pas fait leur job et ceux qui ont fait le job des autres

Je reviens donc à ce rapport du Sénat.

Je vous met ici toute cette quatrième partie, sur la désinformation et la mésinformation.

Le seul reproche que je pourrais faire c’est qu’on n’y pointe pas de manière suffisamment explicite le rôle actif joué par certaines institutions dans cette « infodémie », cette épidémie de fausses informations. Avec tout le paradoxe qui est que des individus isolés se sont parfois organisés au travers des réseaux sociaux (tant décriés) pour combattre ces fausses informations provenant en partie d’instituts de recherche.

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