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Saboter une cause ou la servir – petite réflexion à partir d’un exemple historique

Le 15 mai 1848, à Paris, une manifestation sensée soutenir des idées de gauche a dégénéré et a finalement largement profité au camp conservateur.
Au point que certains se sont demandés si tout ça n’était pas dès le départ un complot mené avec l’aide de provocateurs. Il semble que ça soit improbable, mais rien n’est sûr.
On en profite pour réfléchir à l’art de servir une cause… ou de la saboter ?

Vous me connaissez, je m’intéresse à l’histoire.

Et sur une très chouette chaîne YouTube, couplée à un blog, je regardais une vidéo sur les débuts de II République. Et un passage m’a fait réfléchir à plein de débats bien actuels.

Je vous recommande cette chaîne (et le blog qui va avec), allez y, découvrez ça si vous ne connaissez pas encore.

Regardez le petit extrait ci-après. On vous parle d’une manifestation survenue le 15 mais 1848 et de ses conséquences.

Vous voyez le topo ? Au départ une manifestation pour soutenir les Polonais. Puis des revendications de toutes sortes qui se greffent dessus. Et dans un contexte où une assemblée vient d’être élue, au suffrage universel (masculin). La première fois que les Français votaient au suffrage universel.

Et la salle où se réunit cette assemblée est donc envahie par des manifestants. Certains se mettent à exiger un nouveau gouvernement. Un député (dont on ne sait pas trop si c’était un indic roulant pour la police) proclame la dissolution de l’assemblée. Certains croient à une nouvelle révolution (après celle survenue quelques mois plus tôt). Et tout se termine en eau de boudin, la droite conservatrice finissant par profiter largement de tout ça.

Au point que certains se sont demandés si cette manif’ et cette intrusion dans l’assemblée n’étaient pas une provoc’ organisée par les conservateurs pour délégitimer la gauche.

(J’insiste : regardez la vidéo en entier, elle en vaut la peine et ça vous permettra aussi de remettre tout ça dans un contexte)

Alors, si une manif’ sensée soutenir la cause polonaise a finit par ressembler à une insurrection, avec des appels à prendre le pouvoir par la force (aux dépends d’une assemblée fraîchement sortie des urnes au suffrage universel, le détail est important), est-ce que c’était le coup de quelques provocateurs roulant pour la droite conservatrice, afin de délégitimer les mouvements de gauche ?

Ou est-ce que c’était le fait vrais militants cherchant sincèrement à servir une cause qui leur était chère ?

De ce que je retiens de la vidéo, c’est que les historiens aujourd’hui penchent plutôt sur la thèse du gros bordel imprévisible. Une manif qui dégénère, parce que pas grand monde contrôle grand chose, des gens qui se laissent entraîner, certains qui finissent pas s’y croire vraiment ou qui ne veulent pas se laisser déborder, peut-être des agitateurs là au milieu. Ni une tentative de coup d’état organisé par les tenants des idées socialistes. Ni un complot machiavélique.

Écoutez donc cet autre petit extrait :

J’aime bien la comparaison avec les casseurs, dont on se demande s’ils ne sont pas des provocateurs infiltrés pour discréditer des manifestants, provocateurs dont les « vrais » casseurs nient l’existence parce que ça mettrait en évidence le fait que eux-mêmes servent dans les faits les intérêts de ceux qu’ils prétendent combattre…

Petite parenthèse. En farfouillant sur le sujet, je découvre qu’il y a eu dans les années 1880 un journal anarchiste, « La Révolution Sociale », financé par… le préfet de police de Paris, qui se servait d’un agent provocateur à sa solde. Le préfet en question alla jusqu’à y publier des articles sous un faux nom et inspira même un attentat contre une statue.

Fin de la parenthèse.

Ce que je trouve donc intéressant dans cette affaire, c’est qu’il y a une série d’actes dont on ne sait pas s’ils ont été faits pour servir une cause donnée ou pour, au contraire, la saboter.

Et c’est très particulier quand vous y réfléchissez.

Parce qu’en principe, on se dit que le comportement de celui qui combat dans un camp diffère sensiblement du comportement d’un saboteur.

Mais en fait, pas forcément…

Essayez donc de réfléchir à ça. Des gens ont mené des actions. On connaît ces actions (envahir la salle d’un parlement, proclamer un nouveau gouvernement, etc.). Et on n’arrive pas à savoir avec certitude s’ils étaient sincères ou si c’était des traîtres payés par « le camp d’en face. » Même en sachant ce qu’ils ont fait.

Et ça peut effectivement faire penser aux débats sur les casseurs dans les manifs.

Moi, ça me fait aussi penser à pas mal de débats houleux, notamment sur les RS. Je vois passer parfois des propos tellement cons, tellement outranciers, que je ne sais pas s’il s’agit de messages sincères ou si c’est des trolls qui jouent la provoc’ ou qui essaient de faire passer tel ou tel mouvement pour une bande de tarés.

Et on sait que le phénomène existe. Des faux comptes sensés soutenir tel ou tel camp, mais qui sont en fait créés pour jeter le discrédit.

C’est fou, hein ?

Imaginez. Moi je suis un gros fourbe qui me fait passer pour le défenseur d’une cause donnée. Et vous, vous êtes une personne sincèrement engagée pour cette cause. Qu’est-ce qui va nous différencier ?

Moi, le provocateur, je vais raconter n’importe quoi, je vais multiplier les outrances et les mensonges, semant ainsi la confusion et provoquant le rejet chez celles et ceux qui ne sont pas d’entrée de jeu acquis à la cause.

Alors que vous, vous qui défendez un idéal auquel vous croyez sincèrement, au contraire, vous allez…

Vous allez…

Heuh…

Qu’est-ce que vous allez faire ?


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