Je vais vous parler du complotisme et de ses conséquences. Et je vais vous raconter l’histoire d’un flic qui était au mauvais endroit au mauvais moment : il était chez lui dans son lit.
Rodolfo Ruiz était commissaire dans un commissariat de quartier. Et il a été victime des complotistes suite aux attentats de 2004 à Madrid.
Vous vous souvenez des attentats de Madrid en 2004 ?
Pour mémoire, le 11 mars 2004, des bombes éclatent dans des trains de banlieue. On était à la veille des élections générales en Espagne.
Rapidement les flics et les services secrets ont privilégié la thèse de l’attentat islamiste. Sauf que cette thèse n’arrangeait pas tout le monde.
Surtout pas le gouvernement en place, du Partido Popular (PP, droite conservatrice) mené par José María Aznar Aznar qui ne se représentait pas à sa propre succession, laissant la place à son poulain, Mariano Rajoy, dont la victoire semblait assurée…
…jusqu’à ces attentats et les polémiques qui ont suivi.
Le gouvernement José María Aznar avait engagé l’Espagne dans la Guerre d’Irak, aux côtés de George W Bush. Un attentat islamiste aurait pu être perçu comme une conséquence de cet engagement. À l’inverse, pendant la campagne, le Partido Popular avait attaqué les socialistes (PSOE – Partido Socialista Obreo Español) sur leurs intentions d’éventuellement négocier avec l’ETA, l’organisation terroriste indépendantiste basque. La thèse d’un attentat de l’ETA arrangeait donc Aznar et son parti.
Donc, dans cette courte période entre l’attentat et les élections, le gouvernement Aznar a fait tout son possible pour pousser en avant la thèse d’un attentat de l’ETA.
Accusée de mentir, la droite a perdu les élections (dont elle était pourtant favorite). Et après les élections, certains ont fait leur possible pour semer le doute sur les attentats. C’était une manière de contester les résultats électoraux et, donc, la légitimité du gouvernement socialiste de José Luis Rodriguez Zapatero.
Il fallait raconter n’importe quoi. Du moment que ça remettait en cause la « thèse officielle ». C’était peut-être quand-même l’ETA. Ou peut-être que l’ETA avait refilé un coup de main aux islamistes. Voire même, qui sait, pourquoi ne pas imaginer un attentat impliquant les forces de police, fomenté dès le départ pour manipuler l’opinion publique et donner une victoire électorale aux socialistes ? L’important était de faire passer le message qu’il y avait quelque chose de louche et que quelqu’un, quelque part, avait menti aux Espagnols pour placer la gauche au pouvoir.
Toutes sortes de théories complotistes ont donc circulé.
Et comme toujours avec les théories du complot, tous les aspects gênants s’expliquent par une nouvelle théorie du complot :
- ILS ont caché les preuves de ce que j’avance.
- ILS ont fabriqué de fausses preuves.
Le complotisme est un joker argumentaire.
Mais le complotisme est aussi un joker éthique.
Donc, on s’en fout des conséquences. Pas besoin de s’embarrasser avec des questionnements éthiques.
Je devais vous causer d’un flic.
Rodolfo Ruiz.
En mars 2004, il est à la tête d’un commissariat à Vallecas, une ville de la banlieue de Madrid.
Le jour des attentats, des flics de toutes provenances ont donc été sollicités pour fouiller les affaires trouvées dans ces décombres, à la recherche d’indices.
Et un des indices centraux de l’enquête a été trouvé par des hommes du commissaire Rodolfo Ruiz : un sac à dos avec une bombe qui n’avait pas explosé.
Il n’était même pas sur place quand ses hommes ont fait cette trouvaille. C’était la nuit, il était rentré chez lui et il s’était couché.
Il a été prévenu par un coup de fil.
Il n’a jamais vu ce sac-à-dos. Les artificiers de la police s’en sont chargés.
Comme je vous l’ai raconté plus haut, la responsabilité des islamistes dans cet attentat dérange pas mal de monde. Au niveau politique, ça arrange bien une certaine droite d’essayer d’attribuer ça à l’ETA.
Et ça continue après les élections.
Et ça devient de plus en plus méchant, violent, sale. Des personnalités politiques et des grands médias y contribuent à des degrés divers.
On a donc ce sac à dos avec sa bombe. Indice essentiel. Trouvé par des flics du commissariat dirigé par Rodolfo Ruiz.
Quelques mois plus tard, ce commissaire reçoit une promotion. Comme ça arrive dans la carrière d’un flic. Rien d’extraordinaire. Sa paie mensuelle augmente du coup d’une centaine d’€.
COMME PAR HASARD l’officier de police qui a fourni cet indice essentiel reçoit une promotion.
Peu importe qu’il n’ait jamais vu l’indice en question. Peu importe qu’il se soit trouvé chez lui au moment où ses hommes l’ont trouvé et ont appelé les artificiers.
Les complotistes tiennent une proie. Et ils s’acharnent. Fausses rumeurs et insinuations relayées par des médias proches de la droite dure, relayées aussi et amplifiées sur les réseaux sociaux.
Messages d’insultes. Accusations gratuites.
Sa vie devient un enfer. Son épouse fait une dépression. Elle se suicide.
Un commissaire de police dans la banlieue de Madrid. Ses hommes avaient trouvé un indice. Et ça a suffit pour que les « chercheurs de vérité » s’acharnent sur lui. Sans souci de la vérité (joker argumentaire) et sans pitié ni remords (joker éthique).