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Twitter, les médias, Sandrine Rousseau et Charles Darwin

Je vais vous parler de Charles Darwin, d’une université belge et d’une politicienne française. Et de comment un journal peut partir d’une polémique sur Twitter, dépasser l’aspect anecdotique et sensationnaliste, et en faire un article de fond.

Je vous avais raconté dans un précédent billet, un exemple inverse et, hélas, typique : une polémique sur Twitter qui devient un sujet d’actu en soi. Sans creuser, sans contexte, sans rien. Juste le buzz et la polémique. Une politicienne française, Sandrine Rousseau, avait donné une conférence à l’Université Catholique de Louvain. Et il y avait eu des réactions par rapport à un petit extrait de cette conférence où elle parlait d’Histoire, de la Chasse aux Sorcières, en y racontant de la merde

(Si les mots “de la merde” vous dérangent, imaginez que j’en utilise d’autres : “du bullshit”, “du n’importe quoi”, “des billevesées”, “des foutaises”, « des âneries », etc. Le choix ne manque pas.)

Et j’avais joué un rôle dans le déclenchement de cette petite polémique.

J’avais à l’époque abordé sur Twitter un autre passage, où il est encore question d’Histoire, et où, là aussi, Sandrine Rousseau a raconté de la merde.

Voulant expliquer l’histoire de la pensée scientifique et politique aux XVIIIe et XIXe siècle, elle s’était lancé dans une série d’élucubrations sur Charles Darwin, David Ricardo, Thomas Malthus et Adam Smith. Je vous laisse écouter. C’est un désastre.

extrait d’une conférence tenue le 11 mars 2022

Darwin aurait inspiré la science du XVIIIe et XIXe s, alors qu’il est né en 1809 et n’a publié ses travaux qu’à partir de 1859. À cette date-là, il y a belle lurette que les économistes David Ricardo et Thomas Malthus étaient passés de vie à trépas; pourtant, selon Sandrine Rousseau, ils ont été influencés par les idées de Darwin. Bref, elle inverse tout, mélange tout (Darwin avait cité Malthus). Et il n’y a pas que ces inversions temporelles : les descriptions des théories des auteurs qu’elle cite sont totalement surréalistes. C’est particulièrement frappant pour Darwin, auquel elle ne comprend visiblement rien du tout (ce qu’elle raconte sur les mâles et les femelles dans la théorie de Darwin relève notamment du délire le plus absolu).

On aurait pu s’attendre à un minimum de culture générale chez une personne ayant pu mener des études supérieures. D’autant plus s’agissant d’une enseignante chercheuse en économie. Même si l’Histoire n’est pas son domaine de recherche, elle serait sensée disposer de quelques bases. Par ailleurs elle n’a été questionnée à l’improviste; ce que nous voyons là, c’est une conférence. Un discours préparé donc. Dans une université.

Un désastre que je vous dis.

J’avais publié alors quelques tweets, avec l’extrait vidéo (et une coquille sur une date…).

Et les réactions se sont multipliées. Mes tweets ont été partagés, commentés. L’extrait vidéo a été repris dans d’autres tweets. Etc.

Des semaines plus tard, un article de L’Express revient sur cette anecdote. Alors, oui, on nous cause de cette polémique sur Twitter. Mais on n’en reste pas là. L’article part de cette polémique pour reparler de Charles Darwin, de la manière dont sa pensée a été déformée à de nombreuses reprises et pour redonner au lecteur un petit résumé de ce qu’a vraiment été l’apport de Darwin à la science :

« Darwin, mal lu, détourné, mais toujours aussi génial »

L’article étant payant, je me contente de vous en donner un extrait :

Mais sur le fond, que dit le Britannique ? Que les organismes vivants sont en perpétuelle évolution grâce notamment au phénomène de sélection naturelle qui fait qu’au sein d’une même espèce, les individus les plus adaptés à leur milieu se reproduisent davantage que les autres. Et que toutes ces espèces – y compris l’homme – descendent d’un ou de plusieurs ancêtres communs. Voilà pour la doctrine. En détail, cela donne : d’abord, le terme de “sélection”, il le tire de son observation des élevages : qu’il s’agisse d’une fleur ou d’un cheval, chaque génération est choisie en fonction de certains critères. Les espèces se laissent manipuler, donc sélectionner. Ensuite, il faut revenir au Beagle et aux pinçons des Galapagos : il y a un degré de différence entre chaque individu d’une même famille en fonction des conditions de vie. D’où la notion cardinale de “variabilité naturelle”. De même, et c’est bien Darwin qui s’inspire de Malthus et non l’inverse, en dépit d’une hausse exponentielle, la population demeure naturellement stable ou, tout du moins, les espèces se reproduisent aussi longtemps qu’elles trouvent des ressources alimentaires et des conditions d’habitat optimales. Or aucune ne l’a emporté sur les autres de façon hégémonique. Les conditions environnementales et chimiques jouent donc un rôle majeur.

On aborde aussi, bien-sûr, celles et ceux qui ont plus ou moins dévoyé la pensée de Darwin, notamment ce qu’on a appelé le “Darwinisme Social”.

Si nous parlons des relations entre Twitter et le journalisme, cet article est pour moi un cas assez intéressant. Nous dépassons la simple anecdote, nous ne nous limitons pas ici à simplement relever une énième “shitstorm” sur les réseaux sociaux. Nous partons d’une anecdote et nous nous retrouvons à creuser un sujet de fond.

Utilisateur autrefois frénétique de Twitter, j’ai désormais une attitude très critique envers l’Oiseau Bleu. Il me paraissait intéressant de partager une sorte de contre-exemple, de montrer comment est-ce qu’on peut en tirer de la matière et ne pas se limiter au clash, au sensationnalisme et à l’immédiateté.

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