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Arnaques, charlatanisme et bullshit

Mon premier discours antivax : handicap et guérisons miraculeuses

Je vais vous parler de la première fois que j’ai entendu un discours antivax. J’étais gosse. C’était dans ma famille.
Une histoires de handicap et de guérisons miraculeuses.
Une histoire de mensonge et de manipulation aussi.

J’étais gosse.

J’avais peut-être 9 ans, 10 ans. Je sais plus trop. Je connaissais pas le mot « antivax ». J’ai compris plus tard que ce que j’entendais là, c’était un discours antivax.

On parlait de ma cousine, polyhandicapée. Il paraîtrait que c’était parce que les docteurs lui avaient fait une piqûre qu’elle était comme ça, handicapée. Mais les docteurs n’admettrons jamais leurs erreurs. Il paraîtrait.

Mais je vais commencer par le début. Dans l’ordre chronologique.

Découvrir qu’on a un enfant handicapé

On était dans la 2ème moitié des années 70, en Suisse.

Mon oncle et ma tante avaient eu une fille. Leur premier enfant.

Une grossesse très compliquée. Il y aurait dû avoir 2 enfants, mais 1 des deux était déjà mort dans le ventre de la mère. J’essaie de m’imaginer une femme enceinte de 2 bébés, qui apprend qu’un des deux est mort, mais qu’il faut attendre un peu, pour donner une chance à l’autre qui vit encore. Vous voyez le scénario ? Et bien c’était ça. Et il paraît que l’accouchement a été une horreur.

Mais bon, au final, une petite fille était venue au monde, en bonne santé. Du moins en apparence.

Les mois ont passé et dans la famille, certaines personnes ont fait des remarques. Du genre, « ma fille à cette âge, elle se tenait assise ». On suggérait d’aller voir un docteur.

Mon oncle et ma tante sont allés voir un toubib en Espagne.

Précision : ma famille est d’origine espagnole, de Galice. Mon oncle et ma tante, comme mes parents, avaient immigrés en Suisse et retournaient régulièrement au pays.

Ils ont donc consulté un toubib, pour comprendre pourquoi cette fille ne se tenait pas du tout debout. Et le diagnostic du toubib a été plutôt sombre.

Il paraît que mon oncle était revenu furax, pestant contre ce toubib, affirmant qu’un toubib comme ça, il faudrait lui couper la tête.

Le toubib avait dit que sa fille ne marcherait jamais.

J’insiste sur la chronologie. Mon oncle et ma tante étaient persuadés que leur fille allait bien. Ce sont les sœurs de ma tante (dont ma mère) qui se sont questionnées, en comparant avec l’évolution des enfants qu’elles avaient elles-mêmes eus. Et mon oncle et ma tante n’ont d’abord pas cru le toubib qui leur a annoncé le handicap de leur fille.

La guérisseuse

Mais les mois ont passé. Et ma cousine ne marchait pas.

Et le handicap devenait visible. Parce qu’un petit bébé, de quelques semaines ou quelques mois, c’est un petit bébé. Mais un bébé de 1 an 1/2, 2 ans, qui ne marche pas, qui commence à loucher, dont certains muscles sont toujours tendus… Et bien ça ressemble pas aux autres bébés. Et même moi, avec mon regard de gosse, je voyais que ma cousine était pas comme les autres.

Et un jour, j’ai commencé à entendre parler d’une guérisseuse. Ou plutôt une faiseuse de miracles.

Mon oncle et ma tante étaient entré en contact avec une dame, qui vivait en Catalogne, qui faisait des miracles. Leur fille allait bientôt marcher. Ils en parlaient avec enthousiasme.

J’étais un gosse et je pigeais pas tout. Mais je pigeais que quelque chose clochait. Ma tante qui racontait, émerveillée, tous les miracles que cette femme avait accompli. Elle se faisait appeler la « Virgen Conchita » (la « Vierge Conchita »). Ma tante avait même vu, là-bas, dans leur chambre d’hôtel en Catalogne, le visage de la guérisseuse apparaître sur le mur. J’imaginais ma tante, dans sa chambre d’hôtel, avec le visage de la Virgen Conchita flottant en l’air…

Mais j’osais rien dire. Et il me semble que personne n’osait rien dire.

Mon oncle et ma tante décrivaient chez ma cousine les progrès qu’elle faisait. Progrès que eux seuls semblaient voir. Moi, à chaque visite, il me semblait que les stigmates du handicap devenaient de plus en plus évidents.

Je suis désolé pour les détails (je pense aux personnes présentant une paralysie cérébrale ou aux proches d’enfants IMC), mais, en tant que gosse, tout ce que je voyais, c’était que ma cousine louchait de plus en plus fort, qu’elle bavait, que ses membres se déformaient, etc.

Et je précise que j’ai un immense respect et un immense amour pour mon oncle et ma tante. C’était des gens bien. Je ne me moque pas d’eux. Ils étaient rentré dans une logique où il fallait avoir la foi, où leur foi en cette guérisseuse pouvait guérir leur enfant. Ils ont fait du mieux qu’ils ont pu, dans une situation atroce.

« C’est à cause de la piqûre »

Et c’est dans cette période que j’ai commencé à entendre ce récit selon lequel ma cousine était handicapée depuis que les docteurs lui avaient fait une piqûre. Elle avait eu de la fièvre après sa piqûre. Et c’est là qu’elle était devenue handicapée. Mais les docteurs n’admettraient jamais ça.

Alors bon, vous voyez ce qu’on décrit là. Un bébé qui reçoit un vaccin et qui fait de la fièvre. Le truc banal.

Et je rappelle que mon oncle et ma tante n’avaient pas vu que leur enfant avait un problème, et qu’ils l’avaient même nié.

Mais là, après coup, dans cette période où ils faisaient des voyages en Catalogne pour voir la Virgen Conchita, ils se sont mis à raconter cette histoire de vaccin et que leur fille était handicapée depuis là.

Je me souviens d’un exemple précis d’argument. Ma cousine avait commencé à marcher. Si, si. Quand on la tenait en l’air, à la verticale, elle faisait mine de marcher, elle bougeait les pieds, comme si elle avançait dans le vide, vous vous souvenez ? Alors qu’au final elle n’a jamais marché et qu’elle ne faisait même plus comme ça. C’est bien la preuve qu’il lui était arrivé quelque chose entre-temps. La fameuse piqûre.

Et oui, en entendant ces discours, je me souvenais de voir ma cousine, petit bébé, tenue à la verticale, pédalant dans le vide, comme si elle voulait marcher.

J’étais gosse, je ne savais pas ce qu’étaient les réflexes archaïques. C’est plus tard en faisant mes études que j’ai repensé à ça (Je bosse dans le domaine du handicap). Les réflexes archaïques, qui apparaissent et disparaissent chez le nourrisson. Rien à voir avec de la motricité volontaire. Et il y a notamment le réflexe de la marche automatique.

Alors oui, c’est normal. Un nourrisson fait ce qui ressemble à un mouvement de marche quand on le met dans une certaine position. Et ça disparaît rapidement. Ça fait partie du développement psycho-moteur de l’enfant. C’est normal. Des réflexes qui apparaissent et disparaissent. Et, je me répète, c’est pas lié à la motricité volontaire, que l’enfant apprend à maîtriser progressivement.

Je vais pas vous faire un cours sur un domaine dont je ne maîtrise que quelques bribes. Allez embêter un ou une neurologue pour vous faire expliquer tout ça.

Mais bon, voilà le genre d’arguments qui circulaient. Le genre d’arguments qu’un toubib aurait pu démonter facilement. Sauf que, justement, avec cette histoire de piqûre, mon oncle et ma tante, les toubibs, ils s’en méfiaient.

Vous pigez ?

Y’a pas de miracle

Je ne sais pas pendant combien de temps mon oncle et ma tante se sont accrochés à cette Virgen Conchita.

Pendant un temps, comme je vous le disait, ils voyaient des progrès qu’ils étaient seuls à voir.

Du genre, la guérisseuse leur avait dit qu’il y avait un os qui était en train de pousser dans le pied. Et qu’un fois que cet os aurait fini de pousser, c’est bon, ma cousine pourrait marcher. Vous pigez ? En gros, avec sa spasticité, les articulations de ma cousine se déformaient au fil des mois et, au niveau des pieds, les malléoles externes devenaient de plus en plus visibles. Comme si un os poussait. Le truc typique chez certains gosses IMC. Mais ça, encore, c’est mon langage, d’adulte, avec des formations et un peu de culture générale. C’est pas le langage du gosse que j’étais. Ni le langage du reste de la famille, mes parents par exemple, qui n’avaient été que peu scolarisés et ne savaient rien de ce qu’était une infirmité motrice cérébrale.

Donc, pendant un temps, mon oncle et ma tante étaient persuadés que leur fille était en train de « guérir ». Je rappelle qu’on parle d’un enfant né au terme d’une grossesse compliquée, dans un accouchement compliqué, à la fin des années 70, qui a probablement subi des lésions cérébrales graves.

Et je fais ici une parenthèse pour vous causer de ma défunte mère.

Ma maman.

L’aînée de la famille.

Ma maman, quand elle était petite, elle avait dû s’occuper des la fratrie. Donc de la tante dont il est question ici, entre autres.

Et ma maman voyait que quelque chose clochait. Elle voyait que sa petite sœur, qu’elle avait en partie élevée, était tombée sous la coupe d’une guérisseuse.

Et elle avait eu le courage de parler franchement à sa petite sœur.

Comment vous parleriez-vous dans une situation pareille ?

Vous feriez comment vous ?

Donc, ma maman, elle, a dit à ma tante un truc du genre :

¡ A túa curandeira, deberías mandala a tomar polo cu !

En français ça donnerait : « Ta guérisseuse, tu devrais l’envoyer se faire enculer ! »

En parlant donc de la « Virgen Conchita », cette femme que ma tante vénérait comme une sainte, qu’elle implorait dans ses prières, dont elle pensait qu’elle était en train de guérir sa fille handicapée.

Donc, non, ma maman n’avait pas suivi de séminaire de Communication Non Violente, selon la méthode Marshall B. Rosenberg.

Elle a fait ce qu’elle a pu, ma maman. Ma tante s’est fâchée. Ça n’a servi à rien, sur le coup. Sur le coup, ma mère a échoué. Mais elle a au moins eu le courage de son échec. Elle n’a pas renoncé. Elle a essayé.

Je sors les violons, mais ma mère a eu des paroles de vérité et des paroles d’amour. Elle aimait sa petite sœur. Et elle a parlé vrai avec elle.

Les gens qui vous aiment doivent être capables de vous dire que vous déconnez. Ceux qui n’en ont rien à foutre de vous, les manipulateurs, les lèche-culs, les hypocrites, eux, peuvent vous applaudir et vous féliciter tout en vous regardant vous enfoncer dans le caca. Mais les gens qui vous aiment vraiment peuvent pas faire ça.

Et je ne sais pas trop la suite.

Mon oncle et ma tante ont arrêté de parler de la Virgen Conchita. Je ne sais pas exactement à quel moment, je ne sais pas exactement pourquoi.

Le handicap de ma cousine devenait de plus en plus visible.

J’ai aussi senti une méfiance persistante de la part de mon oncle et de ma tante envers tout ce qui était toubibs et institutions.

Gardez en tête ce que je vous ai dit sur la piqûre. Je vais vous raconter une autre histoire, sans lien avec ma famille.

La dame qui avait mal au bras

Là je vais vous embrouiller, alors il faut vous accrocher un peu.

Je vais vous parler d’un dame qui avait mal au bras.

C’était il a y longtemps. Au début des années 80. En Catalogne.

Elle était allé voir une guérisseuse dont on lui avait dit le plus grand bien. La Virgen Conchita.

Cette histoire, je suis tombé dessus en fouillant dans les archives de La Vanguardia, un journal édité à Barcelone.

Parce que cette histoire a fini au tribunal. La dame qui avait mal au bras était allé voir la Virgen Conchita. Elle y avait laissé un tas de pognon. Et les mois étaient passés. Et son bras n’allait pas mieux. Et quand elle s’était décidé à aller consulter, après 1 année 1/2, les toubibs étaient désolés qu’elle ait attendu autant. Perte de chance. Et ça avait fini au tribunal. Dans un premier procès, la Virgen Conchita avait été condamnée. Mais un recours avait annulé la condamnation.

Et je vous raconte juste 1 anecdote.

Oui, je sais, je suis en train de m’éloigner de l’histoire de départ et des discours antivax. Mais suivez encore un peu.

Cette dame qui avait mal au bras racontait que la guérisseuse, la Virgen Conchita, lui avait dit : « Si tu vas à l’hôpital, les docteurs te couperont le bras ! »

La dame n’était pas allé à l’hôpital. Ou plutôt elle avait attendu 1 an et 1/2 pour y aller.

Forcément, si elle avait les jetons de se faire couper le bras, c’était normal qu’elle évite l’hosto.

Mais du coup, elle évitait aussi d’aller poser des questions à des gens qui auraient pu l’informer correctement sur l’état de son bras. Des gens qui auraient risqué de l’aider à comprendre le bullshit que la guérisseuse était en train de lui enfiler.

Vous voyez où je veux en venir ?

Quand j’avais fouillé dans les archives de La Vanguardia et que j’étais tombé sur cette historie de procès, forcément que le coup du « Si tu vas à l’hôpital, les docteurs te couperont le bras ! », ça m’avait rappelé les histoires sur le vaccin qui aurait rendu ma cousine handicapée.

Dans les 2 cas, on dissuadait de s’adresser à des gens susceptibles d’aider à y voir plus clair. Pour mieux embrouiller ses proies, notre faiseuse de miracles les coupait de toute source d’information fiable…

Un grand classique

Les archives de La Vanguardia, sont devenues payantes. Et je vais pas aller vous rechercher cet article sur cette femme qui avait mal au bras.

Mais j’ai trouvé d’autres archives.

Ici (en espagnol), un article publié à sa mort dans la Vanguardia. Et on apprend que, selon ses fidèles, La Virgen Conchita avait même le pouvoir de faire apparaître le soleil et de faire pleuvoir : https://hemeroteca-paginas.lavanguardia.com/LVE01/PUB/2000/09/02/LVG20000902005VIB.pdf

Ici un article d’un journal galicien (la Virgen Conchita, établie en Catalogne, était en fait originaire de Galice). On y lit comment, 1 année après sa mort, ses fidèles avaient réussi à organiser une messe et un procession en son honneur, sans que l’évêché d’Ourense (en Galice) n’ait été au courant : https://www.lavozdegalicia.es/noticia/ourense/cortegada/2001/08/13/creer/0003_698350.htm

Alors les connaisseurs en matière de mentalisme ou, simplement, de techniques d’arnaques, penseront à des tas de trucs. Notamment à comment faire parler quelqu’un pour en tirer des infos et, ensuite, l’air de rien, utiliser ses infos pour manipuler la personne en question.

Il y a beaucoup à dire sur une histoire comme ça.

Moi, je vous invite à retenir l’histoire de cette dame qui avait mal au bras, mais qui n’osait pas aller consulter à l’hosto de peur de se faire amputer.

Et l’histoire de mon oncle et de ma tante qui, en gobant cette histoire de piqûre, se sont coupés de celles et ceux qui auraient pu leur expliquer ce qui était en train d’arriver à leur fille.

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