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Le double discours, la motte castrale et le dîner de cons

Imaginez.
Je tiens un double discours.
Un discours hardcore pour mes fans et un discours édulcoré pour le grand public.
D’après vous, lequel de ces deux discours est le vrai, celui auquel je tiens vraiment ?

J’aime bien les histoires d’arguments pourris.

Et je vous avais causé du sophisme de la motte castrale. En gros, je tiens un discours un peu hardcore, pour vous, mes fans. On va l’appeler le discours A.

Si, si, parce que vous qui me lisez là, vous êtes mes fans.

Et si je me fais attaquer pour mon discours, je brandis un discours B, une version très soft, très édulcorée, carrément déformée du discours A . Le discours B ressemble un peu au discours A, mais c’est en fait un propos plus ou moins banal, pas franchement attaquable.

D’où l’image de la motte castrale. Une motte castrale c’était une sorte de château fort très primitif, une tour de défense surplombant un village. La motte castrale représente ce discours B, inattaquable, celui dans lequel je me réfugie si je suis mis en cause.

Et le discours A, celui que je vous sers à vous, mes chers fans, c’est le village (« The bailey » en anglais). Mon vrai discours, celui qui représente ce en quoi je crois sincèrement.

OK, vous voyez le sophisme. Et vous en dites quoi ? Ouais, vous, mes fans qui me lisez, ça vous fait quoi de voir que j’ai un double discours ?

Je vous raconte un truc. Mais vous voyez que je raconte un autre truc face au grand public. Vous me trouvez pas un peu faux-cul ?

Mais en fait vous vous en foutez. D’abord, vous êtes mes fans (ne l’oubliez pas), et les fans, ça pardonne tout. Et, surtout, vous et moi on défend une cause juste. N’est-ce pas qu’on défend une cause juste ? Alors les petits arrangements, les petits tours de passe-passe auxquels je dois me livrer, ça vous dérange pas plus que ça.

C’est pour la bonne cause que je vous dit.

Au pire vous allez me trouve un peu roublard.

Que voulez-vous ? Là, dehors, les gens ne comprennent pas, les gens ne sont pas prêts. Vous, vous comprenez. N’est-ce pas ? Avec vous, mes chers fans, je peux parler franchement, je peux tenir mon vrai discours. Mais pour les autres, pour les cons, je suis bien obligé de bricoler un propos pas trop hardcore, un truc soft qui les perturbe pas trop.

Et puis il faut bien que je me défende.

Du coup je suis obligé de faire un max pour passer pour un type sérieux, crédible, tout ça, tout ça.

C’est pour la bonne cause que je vous dit.

Du coup, c’est pas seulement que vous m’en voulez pas trop pour ce double-discours. Limite, vous êtes même admiratif de voir comment est-ce que je m’en sors, en recourant à cet autre discours, le discours B, la version édulcorée pour les autres, pour les cons.

Dites.

Entre nous.

Vous vous demandez pas un truc ?

Vous êtes sûr que, dans l’histoire, c’est les autres les cons ?

Parce que si ça se trouve, quand je suis pas avec vous, quand j’essaie de passer pour un type sérieux, crédible, et que je sers aux gens mon discours B, je leur raconte des trucs du genre : « Que voulez-vous, mes fans c’est des gros bourrins, il faut que je leur raconte des trucs hardcore bien débiles si je veux les motiver »

Parce que je parle des cons du dehors. Mais si ça se trouve, en fait, les cons, c’est vous.

Pensez au film « Le Dîner de Cons ». Imaginez. Je vous explique que je veux vous présenter un con et je vous invite à dîner. Mais… Si je suis le genre de gars à faire des trucs comme ça… Et bien si ça se trouve, l’autre invité, je lui ai dit, en parlant de vous « Viens dîner, je vais te présenter un con, tu vas voir, c’est un gros bourrin, il gobe tout ce que je lui raconte ».

Je reviens à mon histoire de motte castrale et de double discours.

Le discours A, celui que je vous réserve, à vous, mes fans, vous êtes sûr que c’est celui-là mon vrai discours ? Vous êtes sûr que ce que je vous raconte représente bien ce en quoi je crois ?

Peut-être que je vous raconte à vous des trucs un peu hardcore pour vous mobiliser. Parce que je me dis que vous êtes tous trop bourrins pour piger comme il faut si je vous sers un discours un peu nuancé (comme le discours B). Le vrai tour de passe-passe, c’est peut-être de me faire une fanbase, des gens qui m’écoutent, qui me suivent sur les RS, qui me défendent becs et ongles, qui seraient même capables de claquer du pognon pour des cagnottes, des conf’, des bouquins, etc. Tout ça pendant que je préserve mon image de type sérieux, vis-à-vis des gens sérieux.

Ouais, c’est peut-être vous le con du dîner.

Ou peut-être qu’il n’y a que des cons dans cette histoire.

Peut-être qu’il n’y a pas de « vrai discours » pour moi. Peut-être qu’il n’y a pas un discours qui soit plus sincère que l’autre.

Hein ?

Peut-être que ce qui importe pour moi, c’est de rester dans ce va-et-vient entre différents discours. Arriver à vous mobiliser vous et, en même temps, préserver une image sérieuse et respectable vis-à-vis des autres (ceux que vous croyez être les cons).

C’est peut-être cette position-là mon but. Peut-être que pour moi, le seul « vrai » discours, c’est celui qui m’arrange, là, en ce moment, dans ces circonstances.

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