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Artemisia, médecine chinoise et TV publique belge

Matière Grise – La médecine chinoise en Belgique – extrait d’une émission de la RTBF

Écoutez ce petit extrait vidéo d’une émission de la RTBF, la TV publique belge :

Les plantes nous ont apporté la plus part de nos médicaments. Et donc, actuellement, l’industrie pharmaceutique s’intéresse évidemment beaucoup aux plantes des médecines traditionnelles. Avec des découvertes régulières notamment à partir de plantes médicinales chinoises. Comme l’artémisinine qui s’est démontrée être un excellent anti-malarique.

Matière Grise – La médecine chinoise en Belgique

En soi, ce propos n’est pas problématique. C’est un gros résumé, mais sans plus.

Par contre, de la manière dont il est utilisé dans ce sujet, c’est vraiment du bullshit. Et sur un problème de santé, donc avec des conséquences potentiellement graves. Et le service public devrait faire gaffe avec ça.

Surtout que s’agissant de l’artémisia (la plante dont est tirée l’artémisinine) la RTBF a un gros passif…

Je vous raconte.

Les plantes et les médicaments

Donc, oui, des tas de médicaments ont été découverts en travaillant à partir de plantes.

Et, oui, l’artémisinine est un principe actif dont l’efficacité est reconnu contre la malaria. Nous parlons ici d’un médicament essentiel, face à un problème de santé majeur à l’échelle planétaire. Sa découvreuse, la scientifique chinoise Tu YouYou avait d’ailleurs décroché le Prix Nobel.

Et, oui encore, cette découverte a été faite en travaillant sur des remèdes traditionnels de la médecin chinoise.

Tout va bien alors, rien à redire sur ce petit sujet que nous propose la RTBF ?

Non.

Pas du tout.

Rien ne va en fait.

D’abord, pour remettre un peu de contexte, à côté de ces traitements réellement efficaces contre la malaria, il y a eu énormément de bullshit au sujet de l’artémisia et de la malaria. On a fait croire que de simples tisanes pouvaient potentiellement éradiquer la malaria, mais que l’OMS, les autorités sanitaires et les pharmas faisaient tout pour torpiller ce remède aussi simple et bon marché qu’efficace. On a en plus semé la confusion entre 2 espèces de plantes bien différentes, l’artémisia chinoise (artemisia annua, dont on tire les traitements anti-paludéens) et une autre plante de la même famille (artemisia afra). Etc.

Des thèses charlatanesques et complotistes popularisées par un documentaire co-produit et diffusé par la RTBF…

J’avais fait tout un long article sur ce sujet. Si vous avez le temps, jetez y un œil. Mais je vous résume ici l’essentiel du problème.

La découverte : une aiguille dans une botte de foin

Si vous regardez ce sujet (ou si vous avez lu des trucs sur les tisanes d’artémisia et la malaria), vous pourriez vous faire le récit suivant : un vieux remède traditionnel, dont l’efficacité est connue depuis des millénaires, et l’industrie pharma qui, un beau jour, décide d’en faire un médoc.

Et bien c’est loin d’être aussi simple. C’est même pas franchement ça.

D’abord, si on connaissait de longue date ce remède efficace en Chine, et bien c’est que les Chinois devaient être plus ou moins libérés de la malaria depuis belle lurette, non ?

La malaria, a été longtemps un fléau majeur dans certaines régions de Chine, et ce jusqu’à récemment. La Chine n’a éradiqué la malaria qu’en 2021. Le pays a notamment été un pionnier dans la distribution de moustiquaires imprégnées. Je vous mets 2 articles sur le sujet :

Et là, il faut que je vous raconte comment, CONCRÈTEMENT, ce médicament a été découvert.

Tout est parti d’un programme militaire secret chinois visant à chercher un remède contre la malaria. Déjà, on cause pas de « l’industrie pharmaceutique ». On cause de l’armée chinoise, à l’époque de la Révolution Culturelle.

Des tas de pistes ont été explorées, avec des molécules de synthèse. Mais aussi à partir de remèdes traditionnels.

Et si les Chinois y ont passé des années, avec de gros moyens, c’est qu’ils ne disposaient pas d’un remède tout prêt dont l’efficacité était démontrée. Les Chinois ont dû bosser sur des centaines et des centaines de remèdes traditionnels… Dont l’immense majorité n’aboutira à rien.

Comprenez bien. Vous entendez ou lisez des phrases du genre « la médecine traditionnelle chinoise connaissait les vertus de l’artémisia contre la malaria ». Mais la médecine traditionnelle chinoise « connaissait » une flopée de soit-disant remèdes contre la malaria. Et les chercheurs qui bossaient dans ce programme militaire secret ont dû se farcir des centaines et des centaines de recettes qui n’ont au final montré aucune efficacité réelle.

Et ça, ça a été le premier gros boulot de ces chercheurs chinois : trier parmi plus de 2000 recette traditionnelles quelles étaient les pistes de travail sérieuses. Et après un premier tri, ces scientifiques, ont épluché environ 200 recette restantes.

Et une équipe, dirigée par la future Prix Nobel, Tu Youyou, a repéré qu’il y avait un truc avec l’artémisia.

Et là, on arrive au deuxième gros mérite de ces chercheurs : comment exploiter cette piste qui semblait prometteuse ? Parce qu’ils testaient sur des rongeurs et ça marchait, plus ou moins, parfois, pas toujours, ça dépendait, on savait pas trop pourquoi…

Le boulot était loin d’être fini.

Et Tu Youyou a découvert qu’il ne fallait SURTOUT PAS utiliser cette plante sous forme de tisane. Il fallait en extraire les principes actifs à froid. Et à partir de là, Tu Youyou et ses collègues ont fait des essais avec ces extraits, ont isolé un principe actif et, ainsi, ont commencé à bosser sur un traitement concret.

Et je vous parle là d’un boulot qui a duré des années. Et gardez en tête que, parallèlement, dans le même programme, d’autres équipes bossaient sur des molécules de synthèse.

J’insiste, hein, quand on vous dit des trucs genre « la médecine traditionnelle connaissait », ça veut dire « la médecine traditionnelle était faite de plein de recettes et prescriptions diverses, dont l’immense majorité n’a jamais abouti à aucune piste thérapeutique sérieuse ».

Si vous acceptez sans autre la phrase « ça marche parce que la médecine traditionnelle chinoise dit que ça marche », alors vous devriez avoir plus de 2000 remèdes efficaces contre la malaria. Or vous ne les avez pas.

Tu Youyou, avec son équipe, a eu l’immense mérite de trouver 1 aiguille dans une botte de foin.

« Médecine moderne » VS « médecine traditionnelle » ?

Je vais poser une question aux messieurs qui me lisent.

Est-ce que vous allez bander plus dur et plus longtemps si vous consommez de la poudre de corne de rhinocéros ?

Ben oui.

La médecine traditionnelle chinoise dit que la corne de rhinocéros est un remède efficace pour un tas de trucs. Et que c’est notamment aphrodisiaque.

On peut dire que « la médecine traditionnelle chinoise CONNAÎT les vertus aphrodisiaques de la corne de rhinocéros », non ?

On est d’accord ? On peut dire ça comme ça ?

Le raisonnement est imparable.

La médecine traditionnelle chinoise est efficace. La médecine chinoise dit que la corne de rhinocéros est aphrodisiaque. La médecine chinoise « connaît » les propriétés aphrodisiaques de la corne de rhinocéros. Messieurs vous serez donc sexuellement plus performants en consommant de la poudre de rhinocéros.

CQFD.

Vous voyez ce qui ne va pas dans ce raisonnement à la con ?

Qu’est-ce qui fonde la médecine qu’on appelle « moderne » ? C’est pas le recours à une technologie de pointe, c’est pas la chimie de synthèse. C’est la méthode. La vérification. La recherche de preuves et d’explications.

Ce qu’a amené la médecine moderne c’est que, justement, il n’y a pas de « médecine moderne », de « médecine traditionnelle », de « médecine chinoise », de « médecine scandinave », de « médecine turque » ou de « médecine bretonne »… Il y a la médecine. Le critère c’est pas la quantité de technologie, ni la tradition, ni le « on-dit », ni l’origine géographique. Le critère c’est la recherche d’explications et, surtout, de preuves d’efficacité.

Un toubib qui, pour lutter contre vos problèmes de sommeil, vous recommande de vous coucher à heure fixe et de ne pas consommer d’alcool le soir, il fait de la médecine. Même s’il ne vous prescrit pas des médocs avec des noms compliqués. La question n’est pas de savoir si ses recommandations sont modernes ou anciennes, ou si elles proviennent de Chine, de Turquie, de Bretagne ou de Scandinavie. La question est de savoir si ses recommandations sont basées sur des vérifications sérieuses.

La corne de rhinocéros, c’est de la kératine. La même matière qui compose le sabot d’un âne ou vos ongles. Et personne ne lui n’a jamais mis en évidence la moindre utilité médicale particulière à cette corne de rhinocéros.

Tradition ou pas, c’est comme ça.

Scorbut et vitamine C

Je vous cause maintenant de scorbut et de vitamine C.

Je sais ça a rien à voir, mais ne vous inquiétez pas, on va finir par revenir à nos histoires d’artémisia, de médecine chinoise et de TV publique belge.

Le sorbut et la vitamine C, donc.

Vous le savez sûrement, autrefois, des tas de marins tombaient malades, voire mourraient, à cause du scorbut.

Aujourd’hui, on sait que le scorbut provient du manque de vitamine C.

Mais pendant des siècles, ça a fait des dizaines de milliers de morts. Jusqu’à ce qu’on trouve la solution. Entre autres grâce à un toubib nommé James Lind qui, au XVIIIe s s’était livré à une sorte d’essai clinique. Et petit à petit, on a fourni du citron aux marins, pour prévenir la terrible maladie (Je résume à fond, tout ça doit être nuancé).

Sauf qu’en fait, l’efficacité du citron n’a pas été découverte au XVIIIe s. C’était bien plus vieux. Depuis des siècles, on « connaissait » l’efficacité du citron contre le scorbut.

Enfin….

Écoutez ce petit extrait, ça sera plus clair :

Je vous recommande d’ailleurs l’épisode en entier, de la chaîne Risque Alpha, intitulé « James Lind – l’essai clinique »

Vous voyez le problème. On « connaissait » l’efficacité du citron contre le scorbut. Mais de la même manière, on « connaissait » une pétée d’autres pseudo-remèdes totalement inefficaces. Et les pistes intéressantes (le citron, et, d’une manière générale, les fruits et légumes frais) étaient enfouies parmi des dizaines et des dizaines de on-dit, de rumeurs, de croyances, d’anecdotes individuelles, de traditions.

Le grand progrès ici n’était pas technologique. Presser des citrons et mélanger le jus obtenu à du tord-boyaux (pour la conservation), ça va, c’était pas de la haute technologie, même pour le XVIIIe s. Le progrès ça a été de se donner des méthodes efficaces pour vérifier ce qui marchait et ce qui ne marchait pas.

On revient à nos histoires d’artémisia, de médecine chinoise et de TV publique belge.

La preuve ? Quelle preuve ?

Si vous reprenez le petit passage et que vous le replacez dans le reportage, vous voyez que c’est au final assez tordu.

Parce qu’on vous lâche cette phrase sur l’artémisinine, ce traitement reconnu comme réellement efficace, en omettant ce qu’il y a eu derrière comme boulot : identifier 1 piste sérieuse parmi plus de 2000 recettes traditionnelles, puis comprendre comme utiliser concrètement cette piste (ne surtout pas chauffer, extraire le principe actif, etc.).

Cette phrase sur l’artémisine pour nous dire « Vous voyez, ça marche ! ».

Et dès lors on glisse sous le tapis LA question : est-ce que toutes ces pratiques issues des traditions chinoises sont réellement efficaces et comment évalue-t-on cette efficacité ?

Et il n’y a RIEN à ce sujet dans ce reportage.

On a des témoignages de praticiens ou de patients. Des témoignages individuels. Je connais une femme qui avait testé l’acupuncture contre ses problèmes de sommeil : elle m’a dit que ça n’avait rien réglé. Pourquoi est-ce que son témoignage à elle n’a jamais intéressé une chaîne de TV publique ?

Et on a des affirmations plus ou moins gratuites de la journaliste qui commente.

Et à part ça ?

Quand on nous parle de « médecine traditionnelle chinoise », comment fait-on le tri entre ce qui marche et ce qui ne marche pas ? Essaie-t-on seulement de faire un tel tri ?

Qu’est-ce qui fait la différence entre la découverte de Tu Youyou, qui a abouti aux traitements actuels contre la malaria, et la poudre de corne de rhinocéros sensée faire bander les messieurs ?

TV publique belge et artemisia : un passif

Pour conclure, je me permets d’insister sur le contexte particulier autour de cette question d’artémisia.

Il y a quelques années, la RTBF a co-produit, diffusé et couvert d’éloges un documentaire aux thèses trompeuses sur un sujet de santé publique majeur à l’échelle de la planète. Je vous remet le lien vers l’article que j’avais rédigé sur ce sujet, pour plus d’infos.

On a fait croire au public (en Europe comme en Afrique) que de simples tisanes pouvaient vaincre la malaria. On a jeté la suspicion contre des chercheurs sérieux et on a promu des personnages douteux. On a fait de la pub à une étude scientifique qui s’était avérée frauduleuse.

Et un des ressorts de ce documentaire trompeur, c’est justement de tordre la réalité, voire de mentir, sur l’histoire de l’artémisia et de la découverte de l’artémisinine.

En plus, à partir de ces thèses, d’autres thèses charlatanesques ont émergé avec la crise du Covid. L’artémisia a été déclarée ainsi remède miracle contre le Covid, avec des conséquences dramatiques notamment à Madagascar. Et ce documentaire sur la malaria avait été utilisé pour promouvoir cette histoire de remède miracle contre le Covid.

La RTBF, à ma connaissance, n’est jamais revenue sur le sujet, et, en particulier, n’a jamais informé le public sur les fraudes scientifiques qu’il y avait derrière ces histoires de tisanes.

Remarquons que la TV publique française (qui avait elle aussi participé au financement du film et à sa diffusion) n’a pas plus informés son public sur ce qu’il y avait réellement derrière tout ça.

Alors, bon, je me dis que, au moins, tout ce beau monde pourrait faire un poil gaffe et et se montrer un petit peu rigoureux lorsqu’il s’agit d’évoquer l’artémisia et ces histoires de médecine traditionnelle.

On cause santé publique.

C’est du sérieux.

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