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2 universitaires prestigieux, FranceSoir, la Suisse et le Covid – retour sur un débunk

Vous vous imaginez prendre un article bien pourri de FranceSoir en guise de source d’information fiable ? Et bien 2 universitaires connus l’avaient fait.
Retour à l’été 2020, pour causer de la Suisse, du Covid, de désinformation et du devoir d’exemplarité.

Juillet 2020, on cause de la Suisse dans FranceSoir

Vous vous souvenez de l’été 2020 ?

La 1ère vague de Covid s’était calmée et certains nous assuraient qu’il n’y avait aucune raison d’en craindre une deuxième.

Et on débattait encore de l’efficacité de la Sainte Chloroquine, promue par un prophète marseillais comme remède anticovid.

Pour tenter de démontrer cette efficacité, un article avait été publié dans FranceSoir. L’idée était de faire une comparaison France-Suisse et, à partir de cette comparaison, démontrer que l’hydroxychloroquine (HCQ) soignait efficacement le Covid.

Covid-19: l’hydroxychloroquine marche, une preuve irréfutable – FranceSoir – 13 juillet 2020

L’article démontrait aussi que l’interdiction momentanée de l’usage de l’HCQ en Suisse avait provoqué une hausse de la mortalité.

Alors déjà, en théorie, je sais pas si c’est ça les meilleures méthodes pour étudier l’efficacité d’un médoc…

…Mais, en plus, il y avait un problème très concret : toutes les infos étaient bidon.

Chez FranceSoir on s’est d’ailleurs senti obligé d’afficher après coup une sorte de mise en garde sur l’article :

Nous informons le lecteur que cet article est sujet à modification.

Covid-19: l’hydroxychloroquine marche, une preuve irréfutable – FranceSoir – addendum du 14 juillet 2020

Alors FranceSoir, vous connaissez, hein. C’est plus ou moins systématiquement du gros n’importe quoi. Qu’ils se soient sentis obligés de publier un semblant de mise en garde, même s’ils ont conservé l’article, ça indique quand-même que là, niveau information, on racle un peu le fond des chiottes.

Et si je vous disais que ce fond de chiottes a été jugé suffisamment fiable par 2 prestigieux universitaires, enseignants chercheurs en Sciences Politiques, pour servir de source à un article dans le cadre de leurs travaux de recherche ?

Si, si.

L’Université de Grenoble, l’Université de Bourgogne, et La Revue Politique et Parlementaire

L’article de FranceSoir avait été largement débunké sur Twitter et je ne vais pas refaire le job ici. Jetez un œil à ce thread-ci (de Thibaut), ou à cet autre thread (de Matthieu Rebeaud).

Du fond de chiottes, je vous dis.

Et ce fond de chiottes a servi de source d’information à 2 enseignants-chercheurs connus en Sciences Politiques : Dominique Andolfatto de l’Université de Bourgogne et Dominique Labbé de l’Université de Grenoble.

Et, sur cette base, ils ont donc publié quelques semaines plus tard un article tout-à-fait sérieux, dans une revue tout-à-fait sérieuse, La Revue Politique et Parlementaire : « Covid-19 : le cas exemplaire de la Suisse et la situation française ».

Le tout avec un lien depuis le site de l’Université de Grenoble (plus précisément depuis une unité de recherche commune à l’Uni de Grenoble, à Science Po et au CNRS).

Du sérieux que je vous dis.

https://web.archive.org/web/20201031164103/https://www.pacte-grenoble.fr/actualites/covid-19-le-cas-exemplaire-de-la-suisse-et-la-situation-francaise

J’insiste. Tout ça est basé des infos tirées d’un article de FranceSoir particulièrement pourri, qui avait été largement débunké dès sa sortie.

Bon, le remue-ménage qui a suivi a fait que l’article a disparu.

Mais un 3ème enseignant-chercheur, en sociologie, l’avait repris sur son blog : Laurent Mucchielli. Cet article de blog ayant été archivé, vos pouvez le consulter par ici.

Relevons encore que le Grand Prophète de la Sainte Chloroquine s’était fait un devoir d’en faire la promotion.

L’article original de D Andolfatto et D Labbé ayant été retiré, est-ce que L Mucchielli allait en faire de même ? Les fidèles de la Sainte Chloroquine allaient-ils tomber sur une mention « Page Not Found » en cliquant sur ce lien ?

Se rattraper aux branches ?

Laurent Mucchielli a choisi de conserver l’article sur son blog, en y apportant des « correctifs » (je vais y revenir), avec une explication qui vaut son pesant de cacahuètes. J’en cite un extrait :

En effet, si les auteurs de cet article – mes collègues Dominique Andolfatto et Dominique Labbé – ont utilisé de bonne foi des calculs réalisés en juillet par France Soir sur la base des statistiques de mortalité de la John Hopkins University, il apparaît que, depuis, les autorités fédérales suisses ont révisé totalement ces données statistiques pour la période allant de la fin mai à la mi-juin. Il faut donc considérer que les calculs présentés étaient faux.

Dominique Andolfatto et Dominique Labbé publieront d’ici quelques jours un texte expliquant les détails de cette erreur, en soi instructifs quant à la prudence requise en matière d’information et d’interprétation statistiques. En attendant, ils présentent leurs excuses à nos lecteurs, excuses auxquelles je m’associe bien évidemment en tant que responsable de la publication de ce blog.

Vous respirez un coup.

Vous vous asseyez.

Servez-vous un alcool fort. Un verre de Calva, ça vous va ?

Et vous relisez.

Donc, là, on a Laurent Mucchielli, sociologue, directeur de recherche au CNRS, médaille de bronze du CNRS, enseignant à l’Université d’Aix Marseille, etc, etc, etc…

…qui nous parle de Dominique Andolfatto, professeur en sciences politiques à l’Université de Bourgogne et chercheur au CREDESPO (Centre de recherche et d’étude en droit et science politique), et Dominique Labbé, enseignant émérite à l’Université de Grenoble et chercheur à PACTE (laboratoire de sciences sociales rattaché à l’Université de Grenoble, au CNRS et à Science Po Grenoble)…

…et qui nous explique que ces 2 messieurs « ont utilisé DE BONNE FOI des calculs réalisés en juillet par France Soir« .

Reprenez un Calva.

Si nécessaire remontez plus haut et relisez calmement.

L’article de FranceSoir qui fait office de source avait été publié le 13 juillet, avec un addendun ajouté le 14. Il avait été rapidement débunké. Et 6 semaines plus tard, dans une revue sérieuse, 2 enseignants chercheurs sérieux, rattachés à des instituts sérieux, publient un article sérieux basé sur ces données de FranceSoir.

De bonne foi.

Allez. Encore un verre de Calva.

Et le coup du « Dominique Andolfatto et Dominique Labbé publieront d’ici quelques jours un texte expliquant les détails de cette erreur » ?

Ben…

Je sais pas.

J’ai rien vu.

Mais bon, comme je suis serviable, je peux essayer de vous livrer un semblant de « texte expliquant les détails de cette erreur » de mon cru :

L’article de FranceSoir, c’était du fond de chiottes, ce qui aurait dû sauter aux yeux de n’importe qui. Surtout qu’on cause de la Suisse. Alors je sais que pour pas mal de Français la Suisse c’est une contrée exotique et mystérieuse, peuplée de petits nains qui, sur leurs montagnes, fabriquent du chocolat, des montres et des fromages à trou, et qui cachent des trésors venus du monde entier dans leurs coffres-forts. OK. Mais bon, je rappelle que ça parle français en Suisse (pas que, mais entre autres). Pour nos 2 prestigieux enseignants chercheurs, ça aurait pas dû être trop dur de s’informer un poil.

Tonton Grompf

Ça va ? Ça vous paraît compréhensible comme « texte expliquant les détails de cette erreur » ? Pas trop technique ?

Laurent Mucchielli a donc conservé l’article avec quelques correctifs… Sauf que c’était presque pire !

J’en avais fait une sorte de débunk de ce texte « corrigé », où je revenais aussi sur la 1ère version :

C’était complètement débile.

Il citait les graphiques de FranceSoir qu’il avait effacés. Ce genre de trucs. Bref, n’importe quoi. Et le débunk de votre serviteur avait eu son petit effet, puisque Laurent Mucchielli a refait un correctif… En supprimant tout le texte sur la Suisse… pour le remplacer par un paragraphe sur Marseille !

Ouais. Je vous l’ai dit, c’était complètement débile.

Je n’ai pas pensé à sauvegarder la version intermédiaire, celle après le 1er correctif. Vous trouverez quelques extraits dans le débunk que j’avais fait. Jetez un œil, franchement c’est pas mal.

Concernant Laurent Mucchielli, je vous parle d’un blog hébergé chez Mediapart… Mais ce n’est pas juste un blog privé : ses diverses publications sur le Covid ça faisait officiellement partie de son travail de chercheur, et il y avait des liens vers tous ces textes depuis le site de son institut, lié au CNRS.

Pas qu’une histoire de calculs

FranceSoir dans leur addendum n’évoquent qu’un problème de statistiques. Idem pour Laurent Mucchielli :

il apparaît que, depuis, les autorités fédérales suisses ont révisé totalement ces données statistiques pour la période allant de la fin mai à la mi-juin. Il faut donc considérer que les calculs présentés étaient faux.

https://blogs.mediapart.fr/laurent-mucchielli/blog/250820/mortalite-du-covid-19-ce-que-revelerait-la-comparaison-france-suisse

Alors oui, il y a un gros n’importe quoi avec les stats, que je détaille pas ici.

Mais non, on ne cause pas que de chiffres. Tout ce qui est raconté sur la Suisse est du bidon.

C’est de la merde que je vous dis. Et de la bien puante.

Cette histoire selon laquelle les autorités fédérales suisses auraient interdit l’HCQ le 27 mai (soit, juste après la fameuse étude du Lancet publiée le 26), c’est sorti directement de l’article de FranceSoir.

Ça n’a jamais existé.

Les autorités fédérales n’ont jamais prononcé un tel interdit. Et donc ne l’ont jamais levé. D’ailleurs vous ne trouvez aucune source à cette « info » ni chez FranceSoir, ni chez Labbé et Andolfatto. Il y avait eu en avril une circulaire des autorités fédérales demandant aux autorités cantonales de prendre des mesures pour assurer l’approvisionnement en HCQ aux malades chronique qui en avaient besoin, genre les cas de Lupus (parce que oui, en mars-avril 2020, l’HCQ avait été essayée contre le Covid).

Et ce qu’on vous décrit comme une « levée de l’interdiction » le 11 juin, c’est juste l’annulation de cette circulaire du mois d’avril. L’HCQ n’était presque plus utilisée face au Covid, il n’y avait plus de risque de pénurie. Du coup, plus rien à craindre pour l’approvisionnement des malades chroniques…

D’autant moins qu’il n’y a jamais eu en suisse de reprise de cette utilisation de l’HCQ face au Covid (là encore, les 2 chercheurs nous racontent de la merde en reprenant telles quelles les « infos » de FranceSoir).

Je vous mets ici une interview d’une toubib des HUG (Hôpital universitaire de Genève), publiée en mai plusieurs jours avant la fameuse étude du Lancet : Les HUG limitent la prescription d’hydroxychloroquine. Le titre est assez clair. Pas de trace d’interdiction. Pas de trace de l’étude du Lancet (qui n’était pas encore publiée). Mais des explications sur le pourquoi est-ce que l’hôpital universitaire de Genève tournait le dos à l’HCQ en tant que remède anticovid : parce que tout indiquait que ça ne marchait pas, point.

Et c’était pas que Genève. Jetez un œil à mon débunk, il y a d’autres liens sur ce qu’il s’était passé à l’époque en Suisse.

Vous pouvez fouiller, chercher les articles dans les médias suisses de l’époque, les documents officiels, etc. Vous n’aurez qu’une seule conclusion possible : l’article de FranceSoir c’est du fond de chiottes.

Et l’article de Dominique Andolfatto et Dominique Labbé, repris par Laurent Mucchielli, ne vaut pas mieux.

Mais y ajoute une caution scientifique.

Ce qui est une circonstance aggravante.

Et c’est pas tout !

Donc, voilà, 2 prestigieux universitaires, rejoints par un 3ème, qui, avant la crise du Covid n’étaient pas connus pour leurs recherches en santé publique. Et qui se sont donc lancés dans des analyses élaborées sur le sujet, avec le sérieux que vous découvrez ici.

Je ne vous ai pas encore parlé de la 2ème partie de l’article. Celle où nos deux prestigieux chercheurs nous rassuraient sur l’avenir, expliquant que l’épidémie perdait de sa virulence en raison de l’évolution du virus.

Et là, Dominique Andolfatto et Dominique Labbé ne se basaient pas sur un article de FranceSoir.

Non, non, non.

Ils se basaient sur un article d’Hélène Banoun.

Hélène Banoun.

Encore un verre ?

Hélène Banoun.

Alors si vous vous intéressez aux théories antivax, ce nom vous dira quelque chose.

Mais en été 2020, Hélène Banoun s’était surtout fait connaître pour un texte où, en se référant à la Théorie de l’Évolution, elle s’attendait à ce que le Covid perde de sa virulence.

Hélène Banoun était une chercheuse retraitée qui avait publié un certain nombre d’articles scientifiques dans les années 80, sans aucun lien avec le domaine en question. Son truc à elle s’était la pharmacologie et elle était rattaché à un labo de biochimie à l’époque où elle était chercheuse.

Mais bon, Dominique Andolfatto et Dominique Labbé ont décrété qu’elle était immunologiste et l’on présentée comme telle à leurs lecteurs. Pourquoi pas ? Les titres, c’est pas si important. Et on n’est pas à ça près.

Et voilà donc comment 2 prestigieux chercheurs en Sciences Politiques, connus précédemment pour leurs travaux sur le syndicalisme, nous ont posé une jolie théorie sur l’évolution du virus du Covid-19, en se basant sur un texte en preprint (qui ne sera jamais publié) rédigé par une pharmacologue retraitée qui n’avait jamais participé à des travaux de recherche en lien avec ces question.

Tout va bien.

Vous en pensez quoi de ce Calva ?

Tout allait même tellement bien, qu’après avoir retiré leur article, nos 2 chercheurs en Sciences Politiques ont décidé de réutiliser cette partie-là pour un nouvel article, publié le 4 septembre 2020, dans la Revue Politique et Parlementaire : « Faut-il avoir peur de la Covid ? »

Oui.

Bon, là, ils ont laissé tomber le titre d’immunologiste.

C’est très intéressant de relire ce texte, en le replaçant bien dans le contexte de l’époque, en pensant en particulier à ce qui était en train d’arriver.

Donc, ils dénonçaient « la quasi-panique » de celles et ceux qui se préparaient à une 2ème vague, avec toutes sortes d’arguments d’apparence très élaborés.

Regardez par exemple le passage ci-dessous, avec le graphique :

Ils n’indiquent aucun signe tangible d’une « seconde vague » que certains spécialistes ou commentateurs ne cessent d’annoncer depuis mai dernier.

Regardez le graphique.

Regardez LEUR graphique, qu’ils vous montrent dans LEUR article.

La courbe des « Hospitalisations nouvelles » était en train de remonter…

« Aucun signe tangible d’une seconde vague » qu’ils disaient.

Je suis allé fouiller sur un site de statistiques, pour vous dégotter cet autre petit graphique. Appréciez. Pour l’année 2020. L’évolution des nouvelles hospitalisations pour Covid en France. J’ai mis en évidence la date du 4 septembre (publication de l’article).

https://ourworldindata.org/covid-hospitalizations

Il y aurait encore à redire sur son texte, notamment le recours systématique aux sous-entendus. Entre les traitements que l’on ne nommait pas (et dont on disait juste que les autorités n’en parlaient pas « OFFICIELLEMENT ») et l’adaptation à la sauce Hélène Banoun de la Théorie de l’Évolution, il n’y avait pas de quoi craindre cette fameuse 2ème vague.

Vous voyez le genre.

Ce texte, Laurent Mucchielli le reprendra sur son blog.

Et sur le site de PACTE (Le labo de recherche de l’Uni de Grenoble, du CNRS et de Science Po Grenoble), vous avez un lien vers l’article.

https://www.pacte-grenoble.fr/biblio/faut-il-avoir-peur-du-covid

Que dire ?

Et il y aurait encore à en rajouter.

Et je ne sais même pas comment conclure ce billet de blog.

2 enseignants chercheurs connus, avec un CV épais comme un bottin téléphonique, avec plein de publications, avec des apparitions dans les médias, etc, qui s’associent à un 3ème enseignant chercheur, lui aussi connu et prestigieux.

Et ces 3 pontes vous racontent N’IMPORTE QUOI. Sur un sujet auquel ils ne connaissent rien. Et on cause Covid. On n’est pas en train de s’engueuler sur le dernier match du FC Saint-Glinglin-les-Tilleuls.

Et nos 3 pontes, ils ne veulent pas juste nous présenter ça comme des propos de bistrot.

Non.

C’est du travail scientifique. Ils balancent leurs titres, les noms des instituts de recherche. Y’a des liens depuis les sites webs de ces instituts (du moins pour D Labbé et L Mucchielli).

Et les gars en sont à reprendre telles quelles, avec 0 travail de vérification, les « infos » sorties de ce blog pourri qu’est FranceSoir, un des pires sites de désinformation du monde francophone.

Et je pourrais encore remplir des pages supplémentaires à faire du débunk.

C’est à coup d’épisodes de ce genre que je me suis mis en rogne sur le thème de l’exemplarité.

Pleurnicher sur la désinformation et le complotisme, c’est bien joli.

Mais tout ça, c’est juste un numéro de faux-cul, si on se contente de râler contre la page Facebook de Jean-Mimi, ex-gilet jaune, ou contre le blog de Kevin, passionné de soucoupes volantes, tout en fermant les yeux sur le genre de merde que je vous ai décrite ici.

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