Catégories
Arnaques, charlatanisme et bullshit Rétro-actu

L’exil scientifique de Luc Montagnier en 2010 : on allait voir ce qu’on allait voir.

Je vais vous parler de MÉMOIRE. De la mémoire chez les « chercheurs de Vérité » et les amateurs de « thérapies alternatives ». Mais aussi de la mémoire de l’eau. Je vais commencer par solliciter… votre mémoire.

Souvenez-vous, décembre 2010…

On apprend donc que le Pr Luc Montagnier a été recruté par une université chinoise. Grosse annonce. Luc Montagnier va pouvoir diriger un institut et mener ses travaux comme il l’entend, loin de ce qu’il appelle l' »oppressions scientifique » qui régnerait en Occident.

Oui, oui, « oppression scientifique. »

Parce qu’en 2010, déjà, le Prix Nobel, Luc Montagnier, n’est plus trop en odeur de sainteté dans les milieux de la recherche.

Ça allait empirer ensuite remarquez…


« Le lent naufrage scientifique du Professeur Luc Montagnier » – Le Figaro – 17 novembre 2017

Mais bon, en 2010, la réputation de Luc Montagnier dans les milieux scientifiques est déjà désastreuse.

Après s’être illustré avec des propos charlatanesques sur le VIH et sur certains vaccins, Luc Montagnier s’est fait le défenseur de la la mémoire de l’eau. Selon cette hypothèse, initialement soutenue par Jacques Benveniste, l’eau aurait une mémoire, conserverait un certain signal électromagnétique des substances avec lesquelles elle a été en contact. Donc, même dans des cas de dilutions extrêmes, lorsqu’il ne reste plus rien d’une substance donnée dans de l’eau, cette eau conserve une sorte de mémoire de la substance en question.

Entre autres, cette hypothèse donnerait une explication théorique à l’homéopathie.

Ben oui, parce que l’homéopathie, ça consiste, par exemple, à diluer du foie de canard pourri dans des proportions du genre 1 atome dans la matière de plusieurs étoiles. Alors pas mal de monde a de la peine à croire que des granules de sucre imbibées d’une telle préparation puissent avoir une quelconque efficacité. Mais la mémoire de l’eau ouvre en théorie une possibilité.

Sauf qu’aucun scientifique sérieux n’est convaincu.

Et c’est aussi à partir de cette hypothèse de la mémoire de l’eau que Luc Montagnier commercialisera des tests sensés détecter le « Lyme chronique » (cher à Christian Perronne) :

ANALYSES DE SANG. Le test non validé du professeur Montagnier
Sur une ordonnance datant de 2010 que nous nous sommes procurée auprès d’un malade de Lyme, le médecin a inscrit : « Test Montagnié » (sic), suivi des coordonnées d’un laboratoire d’analyses médicales. Contacté, celui-ci nous a expliqué expédier les échantillons de sang prélevés sur les malades à Jamal Aissa, collaborateur du professeur Luc Montagnier au sein de la société Nanectis (Yvelines), dont le prix Nobel 2008 est le P-DG. C’est là que le test est réalisé, suivant le principe jamais démontré de la « mémoire de l’eau » qui affirme qu’une molécule peut être détectée dans un échantillon d’eau, même si elle n’y est plus, grâce à son rayonnement électromagnétique. Luc Montagnier prétend ainsi détecter la présence de la bactérie Borrelia, à l’origine de la maladie de Lyme, à partir des ondes électromagnétiques émises par son ADN dans le sang du patient. Or ce test n’a jamais fait la preuve de son efficacité. Et serait facturé au malade entre 300 et 400 € selon différents témoignages. Mais selon Luc Montagnier, il s’agirait d’un « don libre » accordé à sa fondation, l’Institut de recherche Luc-Montagnier, et donc en partie déductible des impôts. Un montage financier singulier qui n’explique pas comment la société Nanectis finance ces tests depuis 2010.

Electrophotonique et pseudo-traitements : le scandale de la maladie de Lyme – Sciences et Avenir – 10 mai 2017

Ces histoires de mémoire de l’eau avaient donc fait beaucoup de bruit et étaient très appréciées dans certains milieux friands de pseudo-sciences.

Le service audiovisuel public français en avait même fait la promotion au travers d’un documentaire bullshitesque : « On a retrouvé la mémoire de l’eau« , qui fait la part belle à Luc Montagnier.

Pour ma part, je vous recommanderais sur ce sujet les 2 vidéos de la chaîne La Tronche en Biais.

Donc, en 2010, Luc Montagnier annonce son départ en Chine.

Il donne une interview au journal Science dans laquelle il s’explique longuement. Il y compare Jacques Benveniste à Galilée et il parle de « Intellectual Terror » pour décrire le milieu de la recherche en Occident. Il explique que, là-bas, en Chine, il pourra mener à sa guise ses recherches sur la mémoire de l’eau.

Dans les milieux des « médecines alternatives », chez les « chercheurs de vérité » et sur les sites de réinformation, l’annonce de cet exil scientifique déclenche un réel enthousiasme.

On va voir ce qu’on va voir !

Luc Montagnier pourra enfin mener ses recherches comme il l’entend, loin de la « terreur intellectuelle », et faire éclater la vérité sur la mémoire de l’eau !

C’était donc en novembre-décembre 2010.

Quelqu’un peut me dire quels sont les résultats obtenus en Chine par Luc Montagnier, dans le cadre de cet « exil scientifique » ?

Quelqu’un a des nouvelles ?

Elles sont où les découvertes majeures, les révélations tant attendues ?

Alors j’ai cherché. J’étais allé sur le site de l’université chinoise en question (La SJTU, basée à Shangai) et, il y a 2-3 ans, on trouvait ça :

Un article de novembre 2010 annonçant l’engagement d’un prix nobel par l’université. Et rien d’autre.

« SJTU Appointed Luc Montagnier » – archivé sur WayBack Machine

Et encore, c’était il y a 2-3 ans. Parce que maintenant, si vous cherchez, vous trouvez que dalle.

Donc ?

Les fameuses recherches sur la mémoire de l’eau, menées dans une grosse uni, en Chine, loin de la terreur intellectuel régnant en Occident, ça a donné quoi ?

Les chercheurs de vérité ont cessé de chercher ? Les marchands de médecines alternatives ont complètement oublié ces recherches qui avaient pourtant déclenché leur enthousiasme ? Les sites de réinformation n’ont plus souhaité informer leurs lecteurs sur le sujet ?

Alors je doute donc fortement que l’eau ait une mémoire.

Et, visiblement, celles et ceux qui à l’époque avaient applaudi l’annonce de cet exil scientifique en Chine, n’en ont pas non plus beaucoup, de la mémoire.

Share This