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Franco et le COMPLOT maçonnique

Je vais vous causer un peu de l’histoire de l’Espagne. Voici la dernière apparition publique du dictateur Francisco Franco, quelques semaines avant sa mort. Apparition centrée sur une de ses grandes obsessions : le complot maçonnique.

Nous sommes donc le 1er octobre 1975. Franco est un vieillard malade. Il dirige l’Espagne sans partage depuis la fin de la guerre civile en 1939. Et dans ces dernières paroles, il tient à expliquer la cause, selon lui, des critiques et attaques que subit le régime.

« Todas las protestas habidas obedecen a una conspiración masónica-izquierdista, de la clase política, en contubernio con la subversión comunista-terrorista en lo social, que si a nosotros nos honra a ellos les envilece. »

Hein ? Quoi ? Vous pigez pas bien ? Bon, petite traduction maison :

« Toutes les protestations qui ont eu lieu sont le résultat d’une conspiration maçonnico-gauchiste, de la classe politique, liguée avec la subversion communiste-terroriste dans la sphère sociale, qui, si elle est à notre honneur, les déshonore eux ».

Pour bien comprendre le contexte, le régime est alors confronté à une vague de protestations au niveau international (mais aussi à l’intérieur du pays), suite à une série d’exécutions de condamnés à mort, qui seront les dernières du franquisme. Il y a toutes sortes de protestations à l’international. Au Portugal, les manifestants iront jusqu’à mettre le feu à l’ambassade d’Espagne (26-27 septembre 1975).

Un journal espagnol évoque les exécutions en septembre 1975

Et puis pour le contexte plus large, je vous rappelle donc qu’on est dans un régime dictatorial, qui perdure depuis des décennies, et qui a été instauré suite à un coup d’État ayant débouché dans une guerre civile meurtrière.

Mais, bon, non. Si ça gueule, c’est forcément qu’il y a un grand complot maçonico-quelque chose contre l’Espagne. C’est pas parce que les gens en ont marre de cette dictature. C’est le complot qu’on vous dit.

Il faut savoir que le coup du complot maçonnique, c’est une vieille obsession de Franco, qui remonte à sa jeunesse. Et c’est aussi une idée qui baignait une bonne partie de l’extrême-droite et des milieux les plus conservateurs en Espagne.

Dans les premières semaines de la guerre civile, en 1936, des dizaines de francs-maçons furent fusillés. En 1940, après la guerre, Franco met en place une législation spéciale pour réprimer la franc-maçonnerie.

Dans ces discours, Franco accuse les francs-maçons d’être responsables de la décadence de l’Espagne.

Alors qu’il exerce le pouvoir, Franco utilise divers pseudonymes pour publier des articles de journaux et des livres, où il donne libre cours à son obsession du complot maçonnique. Ainsi, en 1952, sous le pseudonyme de Jakim Boor, il fait publier « Masonería » (« Franc-maçonnerie »), qui compile les écrits qu’il avait précédemment rédigés sur le sujet.

Un militaire obsédé par les histoires de complot donc… Et qu’est-ce qu’il en a fait ? Et bien pour protéger l’Espagne de ce complot… il a lui-même pris part à un complot. Grand classique. Le récit du complot justifie le complot.

Franco prend donc part au coup d’état contre la république espagnole en 1936.

Il convient de faire un rappel : le Général Francisco franco N’EST NI L’INITIATEUR, NI L’ORGANISATEUR DU COUP D’ÉTAT DE 1936 CONTRE LA RÉPUBLIQUE ESPAGNOLE.

On simplifie souvent le récit en le présentant comme tel. Mais non.

En 1936, le général Franco rejoint en cours de route, quasiment à la dernière heure, un projet de coup d’État initié par d’autres.

Le chef d’état désigné par les putschistes était le Général José Sanjurjo, exilé au Portugal. Sauf qu’en voulant quitter le Portugal, le général Sanjurjo meurt dans un accident d’avion.

Le coup d’état réussit dans certaines parties d’Espagne et échoue dans d’autres, débouchant dans une guerre civile.

Le général Emilio Mola, qui avait été désigné au départ pour coordonner les opérations mourra lui aussi accidentellement. Par ailleurs, deux des plus importants leaders du putsch, ont été capturés au tout début de la guerre par les troupes républicaines, les généraux Goded et Fanjul; ils seront condamnés à mort et exécutés.

Et Francisco Franco profite du vide du pouvoir au sein des putschistes pour mener un coup d’état au sein du coup d’état.

Il manœuvre d’abord pour se retrouver à assumer provisoirement le leadership des opérations. Puis, il manœuvrera encore pour transformer ce leadership provisoire en une prise de pouvoir qui durera jusqu’à sa mort en 1975.

Un complot dans le complot.

Nous parlons toujours d’un homme obsédé par la dénonciation des complots, je le rappelle…

Je vais vous parler maintenant de la Phalange.

José Antonio Primo de Rivera

En gros, il s’agit d’un mouvement de type fasciste (en gros, j’insiste) qui se voulait révolutionnaire. Ils avaient constitué une sorte de milice et, en 1936, ils se joignent au coup d’état. Les adhésions se multiplient, le mouvement grandit. Mais leur leader, José Antonio Primo de Rivera, est emprisonné par les autorités républicaines. Jugé et condamné pour sa participation au coup d’état, il sera exécuté.

Rassemblement phalangiste en octobre 1936

Franco va alors mettre ce mouvement, à la popularité croissante, à son service.

Comment ? Par une histoire de complot !

Franco profite des luttes de successions au sein de la Phalange, voire les encourage.

Puis, le leader provisoire de la Phalage, Manuel Hedilla, est accusé d’un projet d’attentat contre Franco. C’est du pur bullshit. Franco et son entourage ont inventé un complot bidon. Un complot bidon qui permet la réalisation d’un vrai complot.

Manuel Hedilla est jeté en prison. Quelques centaines de phalangistes qui manifestent alors pour protester sont à leur tour arrêtés et jetés en prison, accusés d’être des rouges (ce qui revient à les accuser d’être des comploteurs…). Un proche de Franco se retrouve à la tête de la Phalange qui est intégrée à un mouvement plus vase, « El Movimiento« , sensé servir le nouvel état espagnol, mais servant surtout le pouvoir personnel de Franco.

J’arrête ici avec les anecdotes sur Franco.

Je vous rappelle que je ne suis pas historien. Mais ce dont je vous parle ici ce sont des événements bien étudiés et bien documentés. Je ne prétends pas révéler un scoop ou apporter des analyses novatrices. Un historien ou une historienne qui lirait ce texte n’apprendrait pas grand chose (voire rien du tout).

Je voulais juste vous faire réfléchir à cette notion de complot.

Tout ce que j’ai lu sur le sujet semble indiquer que Franco était profondément convaincu par ces récits de complot maçonnique. Il ne s’agissait pas d’un truc rhétorique de façade. Depuis ses écrits de jeunesse, jusqu’à ce dernier discours où, vieillard tremblotant à la voix faible, il haranguait la foule, Franco croyait vraiment à ces histoires.

Je vous laisse maintenant réfléchir à ce personnage, obsédé toute sa vie par des histoires de complot et qui, pour contrer ces complots, complotera contre le gouvernement élu, puis contre un partie de ses propres alliés, jusqu’à exercer un pouvoir absolu.


Source : « 18 juillet 1936, l’Espagne bascule dans la guerre civile » – La Croix

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