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Prendre position – Histoire d’une agression antisémite

Aujourd’hui, 3 juillet 2024, je vois passer cette histoire sur les RS. En France, 8 membres d’un groupe antifa sont accusés d’avoir agressé un ado juif dans le métro.
Et si là, maintenant, tout de suite je vous demande de prendre position sur cette affaire ?
L’occasion de causer neutralité, militantisme, fact-checking et rapport à l’actu.

J’ai découvert cette histoire aujourd’hui même, sur Twitter. Un article du Canard Enchaîné.

Selon l’article, la Jeune Garde, groupe « antifasciste » aurait assuré le service d’ordre lors d’une conférence sur le « génocide palestinien » à laquelle participait la députée européenne Rima Hassan, membre de LFI. La conférence aurait été marquée des échauffourées avec des militants d’un groupe opposé à cette conférence.

Après la réunion, 8 membre de ce groupe auraient insulté et frappé un adolescent parce qu’ils le supposaient juif. Ce qui aurait abouti à une mise en examen.

Je vois donc passer ça sur Twitter.

Et il y a des prises de position, des échanges tendus, des accusations.

Je vais passer les détails, mais que ce soit la députée européenne Rima Hassan ou ce groupe antifa, La Jeune Garde, je vois passer des démentis, des versions contradictoires.

OK.

Je ne sais pas quand est-ce que vous lirez cet article. Peut-être qu’entre-temps des informations plus complètes ont été diffusées.

Mais là, maintenant, au moment où j’écris, l’après-midi du 3 juillet 2024, qui a les moyens de se positionner clairement sur cette affaire ?

Honnêtement, au moment où j’écris ces lignes, je ne sais pas ce qu’il s’est passé.

Si ça se trouve, dans quelques jours, on disposera d’éléments accablants pour ces 8 militants antifa et on découvrira qu’ils ont agressé un gamin juste parce qu’ils le croyaient juif, qu’ils l’ont frappé, insulté, humilié, menacé…

Mais si ça se trouve on découvrira qu’il n’y a pas eu de coups, et qu’il y a juste eu un échange de mots un peu vifs entre militants de bords opposés.

Est-ce que, là, devant mon écran, je peux avoir des certitudes ?

Je lis des articles de presse. Mais c’est tout frais. Il y a des versions divergentes. Il y a bien une mise en examen. Mais il n’y a peut-être pas eu de coups. Ni d’insultes antisémites.

Au vu des infos dont je dispose, je ne sais pas.

Et je suis sensé commenter ? Je suis sensé assener un message bien senti sur les RS ?

Non.

Nous sommes poussés à réagir à l’actu, tout de suite.

Et même celles et ceux qui critiquons parfois ces chaînes d’info en continu qui commentent à la va-vite, sans creuser, sans vérifier, nous nous sentons poussés à réagir de suite. Même celles et ceux qui nous réclamons de l’esprit critique ou du scepticisme nous nous sentons poussé à réagir de suite.

Je ne sais pas ce qu’il s’est passé dans ce métro.

Est-ce que ma posture doit être qualifiée de « neutre », par opposition à d’autres que l’on qualifiera de « militants » ?

Ben ça dépend. Neutre dans quel sens ?

J’ai des opinions sur l’actu et les débats de société. Je fais partie de celles et ceux qui croient qu’une certaine gauche en France (et pas que…) est gangrenée par un antisémitisme inavoué. Je vais pas trop développer. Je vais juste vous dire que c’est ma posture. À partir de là, vous imaginez bien que l’histoire d’un groupe de militants bien à gauche qui agressent un ado isolé, juste parce qu’il est juif, ça peut me caresser dans le sens du poil. Et donc, non, je ne suis pas neutre.

MAIS…

Je suis d’avis qu’un individu ne doit pas tenir pour vrai un récit, juste parce qu’il colle bien à ses postures politiques. Notamment lorsqu’il s’agit de balancer ou de relayer des accusations, graves, contre des gens. Il faut pas renoncer à l’exigence de vérité, même si cette vérité ne nous caresse pas toujours dans le sens du poil. On peut appeler ça « neutralité ».

MAIS…

La posture que je décris là… Et bien c’est justement une posture. Ce n’est pas de la neutralité. Je me positionne (là, maintenant, en écrivant ces lignes) pour que les faits comptent, pour que l’on accuse pas des gens sans preuves, pour que l’on accepte pas un récit juste parce qu’il va dans le « bon » sens, qu’il sert le « bon » camp. Et ça, c’est pas de la neutralité. C’est du militantisme.

L’époque nous pousse pourtant à gober des récits, à la va-vite, sans savoir.

Déjà, la post-vérité, contrairement à ce que certaines personnes s’imaginent, ça ne concerne pas juste des personnages d’extrême-droite, façon Donald Trump ou Alex Jones, avec leurs histoires de « réinformation » et de « alternative facts ». Bien des gens élaborent toutes sortes de discours pseudo-savants pour s’affranchir des faits et s’autoriser à mentir, sans jamais l’avouer clairement, sous prétexte qu’ils ou elles servent la « bonne » cause.

Et ensuite ces satanés réseaux sociaux favorisent la diffusion rapide d’infos parfois très partielles, voire plus ou moins fantaisistes, accompagnées d’une marée de commentaires. Et il y a en plus des gens qui explicitement nous incitent à nous prendre position, qui fustigent les « silences » dans telle ou telle affaire, qui nous somment de nous prononcer sur tout et sans attendre. Or, non seulement nous ne pourrons jamais avoir un avis éclairé sur tous les sujets, mais en plus, sans recul, sans infos précises, nous n’avons que peu de chances d’avoir un avis pertinent.

Je voulais vous dire encore un truc sur le fact-checking en amateur, pratique à laquelle je me livre parfois.

Un fact-checker amateur, devant son ordi, est limité dans son action. Moi, Tonton Grompf, assis devant mon PC, je suis bien incapable d’aller vérifier ce qu’il s’est passé dans cette rame de métro parisien, le 27 mai 2024.

L’adolescent dont il est question le sait. Les 8 militants de la Jeune Garde le savent. Les flics et les magistrats qui rassemblent des témoignages et des indices matériels (vidéos, etc.) vont peut-être tirer ça au clair. Peut-être que des journalistes professionnels vont dénicher des infos. Mais, moi, là, devant mon PC, je ne vois pas ce que je pourrais apporter à cette histoire.

Je vais conclure avec la notion de victime.

« Il faut croire les victimes ». On entend ça quand on parle de violences contre des groupes précis : violences sexistes, racisme, homophobie, etc. Là, est-ce qu’il faut « croire la victime » ? Il est question d’une agression antisémite, non ? Il faut croire la victime donc ?

Vous croyez la victime, vous ?

Posez-vous une question.

Qui êtes-vous ? Dans cette histoire, qui êtes-vous ? Quel est votre rôle ?

Est-ce que vous êtes un toubib urgentiste qui a recueilli le récit d’un ado de 15 ans expliquant avoir été agressé par 8 individus dans le métro ? Est-ce que vous êtes le père ou la mère de cet ado ? Est-ce que vous êtes le père ou la mère d’un des 8 militants de la Jeune Garde, qui vous jure qu’il n’a pas fait ce dont on l’accuse ? Est-ce que vous êtes un flic chargé de l’enquête ? Est-ce que vous êtes le juge qui va devoir rendre un verdict ? Est-ce que vous êtes un internaute lambda qui se sent sommé de commenter l’actu au plus vite, sans attendre, sans savoir ?

Vous voyez ce que j’essaie de vous dire ?

Si vous êtes un toubib urgentiste, et que vous êtes face à un ado, qui tremble, qui pleure, qui vous jure avoir été agressé par 8 adultes… Et bien vous devez accueillir cette parole d’une certaine manière, vous devez être empathique, bienveillant. Et quelque part, vous devez croire cet ado.

Mais si vous êtes un flic chargé d’enquêter, vous devez chercher à établir les faits.

Et si vous êtes un internaute lambda, vous pouvez peut-être accepter que vous n’en savez pas assez, qu’il vaut mieux faire preuve de prudence et que, de toutes manières, vous personne ne peut vous obliger à vous positionner sur tous les sujets.

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