« Nan, mais on pose juste la question, hein ! »
« On peut plus poser de questions sans se faire traiter de complotiste ! »
Etc.
Vous les avez déjà lus ou entendus ce genre d’arguments, que ce soit chez des gens ouvertement complotistes ou chez des gens qui, l’air de rien, justifient ces discours complotistes.
On va creuser un peu cet argument, en prenant comme point de départ les rumeurs selon lesquelles Brigitte Macron serait en fait un travesti.
Vous avez vu des articles là-dessus, ça sert à rien que je vous refasse une tartine sur le sujet.
Je vous propose juste un petit résumé avec quelques liens.
Donc, on a une rumeur basée sur rien, comme d’autres rumeurs du même genre ayant visé des dirigeantes politiques ou des épouses de dirigeants politiques (notamment Michelle Obama, mais pas que). Dans le cas de Brigitte Macron, la rumeur dit que Brigitte Macron est en fait son grand frère. 2 femmes (une médium et une soit-disant journaliste) ont été jugées et condamnées en France pour avoir ainsi diffamé Brigitte Macron et son entourage.
Et on signale au passage que les gens qui se sont le plus activés pour répandre cette rumeur sont, comme par hasard, liés à l’extrême-droite la plus glauque.
Et là, récemment, cette histoire est revenue sur le devant de la scène après avoir été reprise aux USA dans les milieux pro-Trump.
Je ne vais pas perdre de temps à faire des débunks, ici.
Je voulais vous rendre attentif au discours en mode « je pose juste la question ».
Je vous propose un petit extrait de l’émission « Les Déconspirateurs » par Conspiracy Watch (14 mars 2024).
Écoutez ce petit extrait :
Vous pigez la logique à l’œuvre ici ?
Des journalistes se sont amusés à vérifier la rumeur. On peut se demander si ça en valait la peine, mais bon, ils l’ont fait. Fouiller dans les archives, chercher des photos, etc. Et pas de doute : la rumeur est 100% bidon.
Il y a eu un procès, suivi d’un procès en appel (voir plus haut). Avec condamnation à la clef pour la pseudo-journaliste et la médium qui prétendaient avoir des « preuves » de la transidentité de Brigitte Macron (le cas de figure est fréquent : des preuves mille fois évoquées sur les RS mais que l’on peine à apporter devant un tribunal…).
Mais rien n’y fait. Les complotistes continuent à « juste poser la question ».
J’avais repéré un article publié dans Kairos Presse, en avril 2022 (Kairos Presse c’est un « journal » complostiste belge qui fait dans les théories antivax, pro-Poutine, climato-sceptique, etc, sous prétexte « d’antiproductivisme ») :
Je vous cite quelques extraits :
Pour les mass medias français, c’est entendu : la moindre interrogation sur le sexe de la première dame de France ne peut émaner que d’un esprit dérangé, un « conspirationniste », un « troll » de la « fachosphère », etc.
Tout cela est tabou.
Ce qui est notable, c’est que quasiment jamais aucun contre-argument n’est avancé. Ici, la seule évocation de l’affaire est sanctionnée par une démonisation.
…
Le propre d’une attitude de journaliste professionnel devrait être d’avoir le courage de se poser toutes les questions, de « penser contre soi », y compris face aux thèses qui peuvent sembler les plus invraisemblables, quitte à rapidement les réfuter.
…
Rien de tout cela ici. L’hypothèse est d’emblée plus qu’écartée, interdite.
…
Le qualificatif revenant le plus souvent pour décrire cette rumeur par les mass medias est « transphobe ». Or, si l’on se considère comme réel « progressiste », la présence d’une première dame-travesti à l’Élysée devrait être un sujet de fierté, sauf à être pour le coup véritablement « transphobe ».
…
Vous voyez ce que je veux dire ?
Or, les preuves ne manquent pas.
J’évoquais plus haut un procès, puis un procès en appel, qui a vu la condamnation de la « journaliste » citée dans l’article de Kairos, procès qui sont postérieurs à cet article. Est-ce que, dès lors, Kairos Presse ont rectifié ? Bien-sûr que non. Ils n’en ont pas parlé. Et s’ils en parlent un jour, ce sera pour fustiger la justice aux ordres qui aurait étouffé l’affaire.
Brigitte Macron pourrait bien se soumettre à un examen gynécologique en direct, sur le plateau du Journal Télévisé de 20h, ça ne changerait rien. Certains diraient que c’est une sosie et d’autres soutiendraient que les images auraient été crées par une IA. Ou autre chose encore que je n’arrive même pas à imaginer ici.
Le complotisme est un joker argumentaire : on peut toujours inventer une histoire de complot, pour contrer n’importe quel argument.
Je suis tombé sur un tweet assez éloquent. Un tweet dégueulasse qui a le mérite d’une forme de franchise (un compte de plus de 10’000 abonnés qui sent très fort l’extrême-droite et le complotisme) :
Vraie ou fausse, cette histoire est un caillou dans la chaussure de Macron qui se retrouve accusé, en tout cas soupçonné d’être le mari d’un vieux trans.
Théoriquement nous devrions dire : «si c’est faux, c’est malhonnête de parler de cette histoire, de lui donner du crédit ou de participer à la répandre encore plus, parce que ouin ouin la vie privée, ouin ouin transphobie, ouin ouin la vérité.»
(…)
Alors si cette histoire est capable d’emmerder Macron comme Macron a voulu «emmerder les non-vaccinés», qu’il en soit ainsi.
Remarquons que cette position selon laquelle la vérité et le mensonge ne sont que des questions accessoires, dès lors que l’on prétend combattre pour une juste cause, est de plus en plus répandue et ouvertement affichée. Et pas qu’à l’extrême-droite.
On sait que c’est du n’importe quoi. Mais on s’en fiche. Ce qui compte c’est « la cause ».
Et chez celles et ceux qui n’ont pas cette franchise (ou du moins pas vis-à-vis du grand public), les choses n’en sont finalement pas moins claires. L’indifférence à la vérité est manifeste et, d’avance, on sait qu’aucun argument, aucune preuve, aucun témoignage ne pourrait faire infléchir le discours.
Alors le coup du « on pose juste la question » ou du « On peut plus poser de questions sans se faire traiter de complotiste », vous voyez ce qu’il vaut.
Ce truc est tellement usé que l’on voit souvent sur les RS des gens qui posent une question et qui se sentent obligés de préciser que c’est une « vraie question ».
Tonton Grompf vous propose donc un petit truc, un critère, une sorte de repère. Est-ce que la personne qui pose la question en a quelque chose à foutre de la réponse ?
Ben oui, si vous posez une question (avec un minimum de bonne foi), c’est que vous cherchez une réponse. Donc, que vous allez être attentif aux éléments de réponse que vous pourriez trouver dans votre quête.
En revanche, quand il s’agit juste de justifier la diffusion de hoax ou de rumeurs malveillantes, de balancer des saloperies sans les assumer, alors là, on fait semblant de poser la question, sans en avoir rien à foutre des réponses éventuelles.
Vous verrez ainsi souvent des « chercheurs de vérité », des « résistants » et autres « éveillés » poser sans arrêt une question à laquelle il a été répondu mille fois.
Ce n’est pas poser une question.
C’est décorer de la merde avec des points d’interrogation.
J’ajoute un petit complément sur la question de la transphobie.
Vous aurez noté la rhétorique particulièrement perverse ici. Je vous renvoie à ce passage de l’article de Kairos cité plus haut :
Or, si l’on se considère comme réel « progressiste », la présence d’une première dame-travesti à l’Élysée devrait être un sujet de fierté, sauf à être pour le coup véritablement « transphobe ».
Vous voyez le niveau de cynisme ? Je ne vais même pas argumenter. Je vous demande juste d’observer.
Les femmes trans sont utilisées ici comme repoussoir. Les personnes visées (ici Brigitte Macron) se retrouvent à se défendre comme si on les accusait d’un crime. Et celles et ceux qui diffusent ces rumeurs peuvent alors, à loisir, jouer à ce petit jeu dégueulasse, l’air innocent.