Retour en arrière. Mars 2020. Vous vous souvenez ? Les premières semaines de la pandémie. Le confinement. Les hôpitaux qui débordent. Le vaccin qui semble très lointain. Raoult qui avait annoncé une « fin de partie » grâce à la chloroquine.
On cherchait un remède, quelque chose, une solution.
Et à un moment, des gros titres. On aurait identifié 97 pistes potentielles pour combattre le Covid. Alors on n’annonçait pas des médicaments utilisables de suite. Mais 97 molécules susceptibles d’aboutir à un remède… Ouaouh ! Super !
Euh… C’était fin-mars 2020…
Quelqu’un a des nouvelles ?
Parce que ça avait fait pas mal de gros titres cette histoire. Il y avait même une annonce d’un partenariat avec l’IHU de Marseille, dirigé à l’époque par Didier Raoult, faut-il le rappeler…
Vous avez sûrement vu passer cette histoire.
Pharnext, c’est une pharma qui était surtout connue pour bosser sur un traitement potentiel contre la maladie de Charcot. Et ils bossaient aussi sur un un traitement contre l’Alzheimer. Mais qui, donc, n’avaient encore aucun médicament disponible à mettre sur le marché.
Un truc de niche, pas vraiment une boîte connue du grand public.
Mais, là, en mars-avril 2020, les gros titres se succèdent.
Ce qui au passage produit son petit effet sur le cours de la bourse de la boîte en question…
Ces annonces semblent avoir boosté le cours des actions. Mais aussi le volume des échanges. Regardez ce graphique qui va depuis leur entrée en bourse (en été 2016) jusqu’à fin 2020. Faites attention à la période allant de fin-mars (annonce sur les 97 molécules potentiellement efficaces contre le covid) à fin-avril (annonce du partenariat avec l’IHU de Marseille). Vous voyez le volume d’échange ? La boîte n’avait jamais connu ça.
Précisons aussi que l’année précédente, 2019, avait été mouvementée. L’action avait crevé le plafond avant de se casser la gueule.
Et là, avec l’histoire des 97 molécules, puis du partenariat avec l’IHU, les médias grand public causent de la boîte.
Ici, vous avez une interview du patron d’alors.
On a beaucoup parlé d’intelligence artificielle à ce moment-là. L’idée était de traiter un énorme paquet de données par des IA afin de repérer des molécules potentiellement utiles contre le Covid. Et, pour que ça réussisse bien, il aurait fallu refiler les données des patients aux boîtes travaillant dans le domaine. Si, si, lisez l’interview du patron de Pharnext :
Ils (les dossiers des patients) doivent être informatisés selon un protocole homogène entre tous les pays en précisant bien les médicaments pris par le patient et comment a évolué la maladie Covid-19. Il ne faut pas attendre des mois mais démarrer cette collecte de données dès demain. Des tests et essais cliniques existent déjà grâce à ces données et grâce à ces candidats bien identifiés. La France peut prendre le leadership et entrainer l’Europe dans cette entreprise urgente sans attendre que tout le monde soit d’accord au niveau international.
Israël Science Info – 24 mars 2020
Et vous retrouverez d’autres interviews du même patron avec le même genre de propos. En résumé : si vous voulez vaincre le Covid, il faut refiler les données médicales des patients à des entreprises privées :
La « guerre » nécessite aussi un accès aux données. D’où votre appel…
Oui, et il ne concerne pas que notre équipe. Il est impératif que les chercheurs disposent des big datas constituées à partir des dossiers médicaux informatisés d’un maximum de patients pour travailler efficacement. Si l’on peut obtenir des informations sur les médicaments déjà pris par les centaines de milliers de personnes contaminées, on pourra très vite, grâce à l’intelligence artificielle, identifier des traitements qui marchent (déjà).
Le Point – 23 mars 2020
Je vais faire 2 remarques en passant à ce sujet.
D’abord, je n’ai pas le souvenir que les « chercheurs de vérité », les « lanceurs d’alerte » auto-proclamés et tous les marchands de faits alternatifs se soient offusqués à l’époque. Pourtant, on n’a pas manqué de théories pourries sensées démontrer par A+B que la pandémie c’était surtout un prétexte pour nous contrôler, avec les masques, le confinement, les vaccins, etc. Là, on a un gars qui fait la tournée des médias pour réclamer un accès systématique aux données médicales des patients, mais nos « chercheurs de vérité », à ma connaissance, n’ont rien trouvé à redire.
Ensuite, je vais vous demander de fouiller un peu dans votre mémoire et de repenser à ce que certains ont appelé le « Lancet-gate » : un article sur le covid, publié dans le Lancet, qui a dû être rétracté. Un gros scandale. Derrière il y avait une boîte nommée Surgisphere qui prétendait trouver un remède contre le Covid grâce au Big Data, en traitant les données des patients avec des IA. Un gros scandale, donc. Et vous vous souvenez ce que Didier Raoult en disait au moment où l’article avait été publié ? Il fustigeait le « Big Data mal maîtrisé » qu’il opposait à l’expérience de terrain.
Et donc, quelques semaines plus tôt il s’était associé à un projet qui semblait prometteur… Mais qui était basé sur le recours à ces mêmes Big Data.
Donc, voilà, 97 molécules prometteuses. C’était il y presque 3 ans. Et je repose la question de départ…
Quelqu’un a des nouvelles ?
Parce que j’ai cherché. Et je n’ai rien trouvé. Je ne dis pas que ça n’a rien donné. Parce que pour dire ça, il faudrait que j’aie une source qui dise « ça a rien donné ». Or, même ça, j’ai pas.
Plus un seul article dans la presse.
Octobre 2020, la direction de la boîte (qui a changé entre-temps) publie une lettre aux actionnaires qui ne contient pas la moindre allusion au Coronavirus, ni à l’IHU de Marseille.
Avril 2021, la boîte publie ses résultats pour l’année 2020. Là, non plus, rien sur l’IHU, rien sur le Coronavirus. Les grosses annonces de mars-avril 2020 n’ont laissé aucune trace.
Rien. Nothing. Niente. Nichts. Nada. Niets. 何もない. Τίποτα. Nimic. Hiçbir şey…
Un vrai trou noir.
Aux dernières nouvelles la boîte s’est concentrée sur son remède contre la maladie de Charcot. Je laisse le soin aux connaisseurs de s’intéresser aux questions boursières (Je me suis demandé jusqu’à quel point des gens avaient pu gagner ou perdre de l’argent suite à ces séries d’annonces, mais bon, je ne m’y connais pas plus que ça dans ces histoires de bourse.).
Quant à l’IHU de Marseille et à son boss de l’époque, on a eu la confirmation entre-temps que l’histoire de la chloroquine (ou l’hydroxy-chloroquine) reposait largement sur des boniments et des études pourries, voire franchement malhonnêtes. Mais je n’ai rien trouvé concernant le partenariat avec Pharnext et les 97 molécules. Pourtant Dieu sait si l’IHU de Marseille et Didier Raoult ont communiqué abondamment et sur plein de sujets par tous les moyens possibles depuis le début de la pandémie.
Et visiblement, aucune chaîne de TV ni aucun journal ne s’est posé la question.
Alors là, vous voyez une de mes marottes, un truc sur lequel je reviens souvent.
Des gros titres. Des annonces qui semblent sensationnelles. Et zéro suivi de l’info sur la durée. Et c’est un joli cas d’école d’un problème récurrent, je ne veux pas dire systématique, dans le monde du journalisme.
Alors, donc, ces 97 pistes thérapeutiques potentielles contre le Covid ? Ce partenariat entre un institut hospitalo-universitaire et une pharma ?
Quelqu’un a des nouvelles ?