Catégories
arguments pourris Arnaques, charlatanisme et bullshit complot

Les 3 niveaux de la désinformation

Que vous parliez de « débunk », « fact-checking » ou simplement de vérifier l’info, soyez attentifs à 3 niveaux :

1) Le propos fallacieux en lui-même
2) Les trucs utilisés pour rendre ce propos crédible
3) Les trucs utilisés pour vous dissuader de vérifier l’info et pour discréditer ceux qui vous encouragent à vérifier l’info.

Moi, Tonton Grompf, je vous propose donc un modèle théorique pour analyser les processus de désinformation, basé sur 3 niveaux.

Oui, parce que je suis expert en la matière. Si, si. Parce que j’ai décidé que j’étais expert. Et ne vous avisez pas de remettre en cause mon expertise si vous ne voulez pas que je vous accuse de grompfophobie.

3 niveaux donc, auxquels vous devez être attentifs. Que vous parliez de fraude scientifique, de gros délire complotistes sur des sites louches, de mensonges en politique, de campagnes de discrédit contre une personne, de charlatanisme, etc, repérez ces 3 niveaux.

Avec des exemples c’est mieux.

Premier niveau : Le propos fallacieux en lui-même

Alors là, vous avez l’embarras du choix.

  • Fin de partie : la chloroquine soigne très efficacement le covid et c’est recommandé pour tous les cas d’infection.
  • Le vaccin contre la rougeole cause l’autisme.
  • Saddam Hussein stocke des armes de destruction massive en Irak.
  • Les Rothschild contrôlent les banques centrales.
  • Brigitte Macron est un homme.
  • Le tabagisme passif n’est pas nuisible.
  • Il n’y a pas de réchauffement climatique.
  • La chimiothérapie est inefficace à 97% contre le cancer.
  • Si vous me confiez votre pognon, vous en retirerez un rendement extraordinaire, avec un risque quasiment nul.
  • etc.

Quelle est la fausse info que l’on essaie de faire passer ?

Et c’est souvent sur ce niveau-là que se centre l’attention. Repérer les fausses informations et les démentir.

Deuxième niveau : Les trucs utilisés pour rendre ce propos crédible

Là, on parle de l’emballage. Comment est-ce qu’on vous fait gober un mensonge ou un gros bullshit ?

Et là, vous avez déjà tous les trucs récurrents sur les RS et les sites de « réinformation. »

Des images décontextualisées, sensées illustrer une info. Le patient alcoolique dans un hôpital psychiatrique russe, que l’on présente comme un immigré agressant une infirmière en France. Ou une manifestation pour le climat, avec des manifestants qui posent dans des sacs mortuaires, dont on récupère les images pour faire croire que ce sont des figurants que les autorités exhiberaient en les faisant passer pour des morts du Covid.

Dans le même genre on a les images tronquées. Ou les extraits de texte tronqués. Ou les vidéos tronquées. Et maintenant on a le fausses images bidouillées avec l’AI.

Il y a aussi les appels à l’émotion. Par exemple utiliser le décès d’une jeune fille, dramatiser à fond, pour diffuser de la désinformation antivax (même si le décès n’a aucun lien avec le vaccin).

Dans le domaine des études scientifiques, on a un tas de cas de figures. Un article publié dans une revue prédatrice (une revue qui publie n’importe quoi sans contrôle) qu’on brandit ensuite comme étude sérieuse. Le chiffres bidonnés ou les images bidonnées qui ont échappé à la vigilance. Faire disparaître les données qui ne nous arrangent pas, comparer ce qui n’est pas comparable et faire publier le tout, sans réel contrôle, chez un copain (oui, là, c’est le combo). Des sites pourris qui diffusent des fausses informations mais qui se donnent une apparence de sites sérieux. Etc.

Il faudrait encore présenter les sophismes et tous les raisonnements malhonnêtes destinés à vous embrouiller. Et le recours aux sous-entendus.

C’est sans fin.

Je ne vais même pas essayer d’être exhaustif.

Pour vous tromper et vous manipuler, il existe donc, tout plein de tour de passe-passe, parfois très subtils.

Et parfois pas si subtils que ça. Mais vous seriez étonnés : parfois même des tours particulièrement grossiers fonctionnent chez un certain public.

« How to make the bunny disappear »

Si vous avez lu les articles que je vous ai mis en lien ci-dessus, vous voyez que dans tous ces cas, on ne se contente pas de vous dire « ça c’est un mensonge, voici la vérité ». On explique les mécanismes, on montre comment on a enquêté et, parfois, on vous donne des trucs pour repérer les manipulations.

D’une manière générale, les gens et les organisations qui luttent contre les hoax, les contenus complotistes et tout le reste, se préoccupent aussi de donner des outils au public pour repérer toutes ces entourloupes.

Troisième niveau : Les trucs utilisés pour vous dissuader de vérifier l’info et pour discréditer ceux qui vous encouragent à vérifier l’info

Et ça, c’est essentiel et on n’en parle pas assez. Et c’est sans doute l’aspect qui m’intéresse plus plus dans les problèmes de désinformation.

(Et je vous préviens, pour celles et ceux qui me suivent sur les RS : je vais me répéter. Parce que le sujet me tient à cœur. Et je ne garantis pas que je vais réussir à être bref.)

On vous ment. On emballe le mensonge pour mieux vous le vendre. Et troisièmement, on vous convainc de ne surtout pas douter de ce mensonge.

Un des trucs consiste à jouer sur une logique d’appartenance au bon camp. Si vous doutez, si vous vérifiez, c’est que vous êtes dans le mauvais camp (j’avais rédigé un billet sur ce thème). Pensez aussi aux accusations de « vendu à Big Pharma », de « lobbyiste », de larbin du gouvernement ou autres, lancées plus ou moins gratuitement.

Dans le genre, il y a un magnifique exemple avec un documentaire complotiste, « Ceci n’est pas un complot », qui inclut une séquence où le fact-checking est présenté comme une « défense de Bill Gates« .

extrait de « Ceci n’est pas un complot »

Vous voulez être dans quel camp ? Dans le camp de ceux qui défendent Bill Gates, hein ? Non ? Bon, et bien arrêtez avec vos histoires de fact-checking !

Il y a aussi tout un discours présentant la vérification de l’info comme une petite mesquinerie sans importance au regard des enejeux. La logique du « ça marche » que je décrivais dans ce billet de blog :

D’un côté un grand médecin qui veut soigner les gens, les sauver; et de l’autre on des coupeurs de cheveux en quatre qui parlent de méthodologie et qui se braquent sur des histoires de chiffres. Ou une tisane quasi miraculeuse qui pourrait éradiquer la malaria, face à des chercheurs et des responsables de l’OMS qui pinaillent sur des détails.

Se soucier de vérité et de mensonge est aussi parfois présenté comme un obstacle à l’engagement militant, à la défense de grandes causes. Relativiser la vérité est à la mode. Personne n’assume ouvertement le mensonge. Mais toutes sortes de discours alambiqués circulent, comme s’il fallait choisir entre se soucier de l’aspect factuel et s’engager pour un monde meilleur.

Et là, le docu « Ceci n’est pas un complot », que je citais plus haut m’a donné de magnifiques exemples. Dès sa sortie, certains avaient pointé du doigt ses nombreux manquements à la vérité et le réalisateur s’était défendu en invoquant un film « militant« . Comme si avoir une démarche militante impliquait forcément de faire des « petits arrangements allant dans le sens de sa narration »… Mais j’ai surtout retenu une petite séquence extraordinaire dans un reportage de la RTBF.

Le réalisateur y est interviewée par une journaliste. Et il se retrouve confronté à certaines de ses manipulations. Notamment un bidouillage avec un extrait d’un journal télévisé, ou, en coupant et remontant les images à sa sauce, il fait dire à un présentateur ce qu’il ne dit absolument pas. Et son argumentation vaut de l’or.

Reportage de la RTBF publié en juin 2021 : Quand le doute vire au complot

C’est de nouveau le fact-checking ! Sauf que le message principal de mon film vous allez pas le passer !

« LE MESSAGE ! »
« Le message principal de mon film »

Ben oui. Il a un grand message à faire passer. Et il ne peut pas le faire sans certains bidouillages. Et le fact-checking, pratique maléfique s’il en est, obscurcit la transmission de ce grand message…

D’une manière générale, il me semble que, par un étrange hasard, les gens qui ont tendance à tordre les faits et à raconter du bullshit ont aussi tendance à s’en prendre au principe même du fact-checking.

J’aimerais encore relever l’existence de toute une multitude de tournures et d’expressions destinées à justifier tout ça sans avoir à utiliser le mot « mensonge ». Tout le monde a en tête le coup des « alternative facts ». Mais il y en a bien d’autres des expressions de ce genre, parfois plus subtiles.

Au final, on ne cherche plus tant à vous faire passer une mensonge pour une vérité qu’à vous convaincre que la différence entre les deux n’est pas si importante que ça et ne mérite donc pas qu’on s’y attarde.

Et ce 3ème niveau, vous ne devez pas, vous ne pouvez pas le négliger. Surtout pas si vous vous engagez dans la lutte contre les fausses informations.

Je vous mets un peu de lecture pour finir. On parle ici de l’importance de la vérité pour la démocratie.

(…) il peut être difficile d’identifier la valeur de vérité de certaines affirmations, mais cela ne rend pas les faussetés évidentes moins fausses. De même, il peut être difficile de déduire les intentions d’un communicateur, mais cela ne signifie pas que les mensonges sont soudainement des vérités, ni que nous ne pouvons pas (ou ne devrions pas) essayer d’identifier les mensonges. Au contraire, la distinction entre vérité et mensonge et la capacité à déduire l’intention sont au cœur de la jurisprudence depuis des siècles, voire des millénaires, et l’impulsion et les cadres permettant d’établir ces distinctions sont tout aussi essentiels pour garantir l’intégrité des sociétés démocratiques. Il est impensable de renoncer à ces principes.

Truth and democracy in an era of misinformation

C’était donc Tonton Grompf, grand expert en plein de trucs, et son modèle des 3 niveaux de la désinformation.

Share This